Comme ils disent

  • 04/10/2018
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J’habite seul avec maman dans un très vieil appartement rue Sarasate. J’ai pour me tenir compagnie une tortue, deux canaris et une chatte. Pour laisser mon chef se reposer, très souvent je fais des marchés et du sourcing. Je rédige des RC, des CCAP et des CCTP, à l’occasion, je fais aussi du benchmarking. Le travail ne me fait pas peur. J’aurais aimé être styliste, voire décorateur. Mais mon vrai métier, c’est dans le public que je l’exerce. Je fais des procédures très spéciales, des dialogues compétitifs, sans que la concurrence ne s’amenuise. Et à la cantine, je vois que les autres n’en croient pas leurs yeux : je suis acheteur comme ils disent. Après avoir publié nos consultations au BOAMP, on va manger entre copains de tous les sexes. Et là, on s’en donne à cœur joie et sans complexe. On déballe des vérités sur des prescripteurs qu’on a dans le nez. On les lapide. Mais on le fait avec humour, enrobé dans des calembours mouillés d’acide.  On rencontre des attardés qui pour épater leur tablée marchent et ondulent, se moquant de nos gains. Et se couvrent les pauvres fous de ridicule. Ça gesticule et parle fort. Ça joue les divas, les ténors de la bêtise. Moi les lazzis, les quolibets me laissent froid puisque c’est vrai, je suis acheteur, comme ils disent.  A l’heure où naît un jour nouveau, je rentre analyser mes lots. Je me couche mais ne dors pas : je pense à mes appels d’offres infructueux, si dérisoires. Et à ce candidat beau comme un dieu. Qui sans rien faire a mis le feu à un mémoire de mon DCE. Ma bouche n’osera jamais lui avouer mon doux secret. Car l’objet de tous mes tourments passe le plus clair de son temps à répondre aux marchés privés. Nul n’a le droit en vérité de me juger, de me blâmer. Et je précise que c’est bien le destin qui est seul responsable si je suis acheteur, comme ils disent. Voilà, c’est la fin d’une époque, celle de la bohême, de trousse-chemise, des deux guitares, des plaisirs démodés et aussi le terme de cet édito. C’était for me, formidable. A la semaine prochaine,  peut-être.

Jean-Marc Binot