La tectonique des plaques appliquée à la commande publique

  • 05/07/2019
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« Pierre angulaire : pierre d'angle qui assure la solidité d'un édifice ; élément essentiel, fondamental »

A n’en pas douter, l’articulation entre la protection du secret des affaires et la transparence de la commande publique deviendra une des pierres angulaires du droit de la commande publique. De ce conflit entre deux forces contraintes, il va nécessairement naître, à terme, une organisation. Un peu comme a fini par être bâtie une construction juridique cohérente et pérenne entre préservation de l’ordre public et protection de la liberté d’expression ; ou encore entre service public local et liberté d’entreprendre. Telles deux plaques tectoniques (*) qui s’affrontent, cela va frotter, cela va piquer, cela va trembler. Mais au temps long, un équilibre pourra (devra !) être trouvé.
 

Ça glisse

Sur le papier, c’est simple. L’article L. 2132-1 du code de la commande publique pose un repère : «L'acheteur ne peut communiquer les informations confidentielles dont il a eu connaissance lors de la procédure de passation, telles que celles dont la divulgation violerait le secret des affaires, ou celles dont la communication pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques. Selon la fiche de la Direction des affaires juridiques de Bercy sur l’ouverture des données, les données publiées ne doivent pas porter atteinte au secret des affaires lequel comprend le secret des procédés (le savoir-faire propre à une entreprise), le secret des informations économiques et financières (sur la situation économique d’une société, sa santé financière et toutes informations révélant son niveau d’activité) ainsi que le secret des stratégies commerciales (les décisions stratégiques de l’entreprise et son environnement concurrentiel).
Notons, que la publication des données essentielles des marchés publics est une nouvelle obligation posée à l'article R. 2196-1… mais sans qu’aucune sanction n’y soit associée. Ce qui explique peut être, aussi, que les acheteurs public n'y voient pas encore un enjeu essentiel. Et Pourtant... on commence ressentir des frictions ou à découvrir des fissures.

Ça frotte

Achatpublic.info a relevé la difficulté à concilier les deux principes dans le cadre du dialogue compétitif et plus particulièrement à garder la confidentialité des "offres intermédiaires" durant toute la procédure du dialogue compétitif  (lire  Dialogue compétitif : une procédure sous le sceau de la confidentialité). Plus récemment encore, le Conseil d’Etat vient de juger que dès que la confidentialité d’une offre est bafouée, l’acheteur doit suspendre la procédure de passation récemment (lire Confidentialité des offres rompues : des ennuis à la pelle). Et peu importe si la responsabilité de la personne publique dans la divulgation (notamment par la presse.. ah, ces journalistes !) n’est pas démontrée. Car comme on l’explique régulièrement au Palais Royal, ce qui compte pour le Conseil d'Etat, c’est que la compétition pour l’obtention des contrats soit ouverte, transparente et loyale. Le hic, c’est que le principe de transparence, ouverte non plus aux seuls candidats, mais à l’ensemble des citoyens, cela produit une poussée d’une force inouïe… 
 

Ça risque de piquer

La politique d’ouverture des données, présentée comme résultant de l'exigence sociétale de transparence, poursuit quatre objectifs : la prévention et la lutte contre la corruption ; la bonne gestion des deniers publics ; un meilleur pilotage des politiques d’achat et le renforcement du développement économique des entreprises. Des objectifs dont on peut difficilement remettre en question la légitimité !
Ce qui amener à douter de la fiabilité de tout pronostic de quiétude sismique, c’est que l’ouverture des données doit aussi se lire à l’aune de cette autre poussée profonde de la commande publique, désormais appelée à servir de levier aux politiques sociales, environnementales, voire sociétales. Et au regard de la pratique du  «name and shame».
Prenons par exemple de l’égalité Femmes Hommes. La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a étendu l’exclusion de tout contrat public aux entreprises qui ne respectent pas les dispositions relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ainsi qu’à celles qui ont été condamnées pour discrimination. Un principe repris par la combinaison de l’article L. 2141-4 du Code de la commande publique et de l’article L. 2242-1 (2°) du Code du travail.
Pourtant, le TA de Paris a jugé, dès 2016 (lire jugement en document joint) que « la poursuite de cet objectif de protection (du principe d’égalité entre les hommes et les femmes) n’impose pas cependant de porter à la connaissance du public un comportement discriminatoire dont la divulgation ne pourrait que porter atteinte à l’image publique de l’entreprise.» 1/0 pour la protection des entreprises… 
Et un sévère coup porté à l’article L. 2141-4 du code de la commande publique !
 
Jean-Marc Joannès

*La tectonique des plaques caractérise l'ensemble des mouvements des plaques plus ou moins rigides constituant la lithosphère terrestre.Elle trahit en surface les mouvements de convection ayant cours dans le manteau terrestre.