Sac de nœuds !

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"La difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d'échapper aux idées anciennes"
Keynes



On revient souvent sur une difficulté croissante des acheteurs publics : prendre en compte l’achat durable dans toutes ses composantes, environnementales, sociales et même sociétales. L’achat public "couteau –suisse", en somme. Un enjeu qui rend le métier d’acheteur public aussi compliqué que passionnant.

A ces facteurs d’évolution issus du corpus juridique de la commande publique lui-même (le code de la commande publique et les lois y afférentes directement), d’autres réglementations, au sens large, évoluent... et interpénètrent le droit de la commande publique. Tout est dans tout, et tout est lié : de quoi alimenter la recherche et affûter les pratiques. Voire, même, de quoi nourrir le contentieux : l’écheveau juridique pousse certains à en jouer, entendant de faire prévaloir l’un ou l’autre des corpus, ou à arguer la primauté de l'un sur l'autre (relire par exemple "Non, la loi AGEC n'est pas une condition de recours à la procédure négociée!" et "Accord-cadre à bons de commande sans maximum et mieux disant environnemental à Cholet").
 

Logiques incompatibles

Cette semaine, la rédaction est allée à la rencontre d’une "thésarde". Marie Micaelli rédige une thèse à l’Université d’Aix-Marseille sur la commande publique au service du développement des territoires, avec en ligne de mire la relocalisation des activités économiques. La chercheuse constate que les élus locaux doivent désormais déterminer les outils les plus efficients sur le plan économique et les plus sécurisés sur le plan juridique. Et notamment maîtriser « l’outil contractuel (tant privé qu’administratif) en matière de développement urbain » (lire "La commande publique, levier de performance territoriale ?"). A sa disposition, une véritable « palette de solutions contractuelles ».

Constat n° 1 : « Les marchés publics conservent un fort potentiel en ce qu’ils permettent de stimuler directement le tissu économique local malgré la rigidité des procédures concurrentielles ».

Constat n° 2 : la commande publique dans sa globalité s’avère cependant en réalité peu adaptée pour répondre aux nombreuses problématiques que pose le développement urbain. « La rigidité des procédures concurrentielles et l’objectivisation du contentieux contractuel sont (…) susceptibles de constituer un frein pour les personnes publiques projetant de mener des politiques soucieuses du développement durable et du localisme que le droit européen, rappelons-le, interdit », avec notamment la gestion à long terme des enjeux de développement territorial : « la remise en concurrence périodique (…) empêche de nouer des partenariats dans la durée ».

Conclusion : la logique locale, et donc le localisme dans l’achat public, sont sur les plans juridique et économique, doublement incompatibles avec la logique concurrentielle que prône le droit de la commande publique, car « la finalité ontologique du droit des contrats publics est de garantir le bon fonctionnement du marché, non de satisfaire les intérêts nationaux et a fortiori locaux. »
 

A chaque nouveau texte, faire un point

Restons "au local". Une autre "grande loi", la loi 3DS (pour "Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et simplification") est révélatrice de cette interpénétration des textes. Une loi de décentralisation fleuve, que Me Yves Delaire décrypte, classe et analyse sur l’angle de la gestion déléguée des services publics : « à défaut de constituer un nouvel acte de la Décentralisation, [la loi 3DS] ne pouvait manquer de concerner les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent déléguer la gestion de leurs services publics locaux » (lire "La gestion déléguée des services publics dans la loi 3DS").
Un nouvel exemple édifiant de l’interpénétration des corpus juridiques : « si elles ne constituent pas, et de loin, la majorité des nouvelles mesures qui viennent d’être publiées, l’importance qu’il convient d’accorder aux modalités de passation et d’exécution des conventions de concession ou de délégation de service public (DSP) mérite de faire le point ».
 

Un zest d’extranéité

Enfin, n’oublions pas que le droit de la commande publique française, pour reprendre l’expression de Laure Bédier « n’est pas hors sol » (revoir "achatpublic invite… Laure Bédier"). Si par exemple en matière de révision de prix ou de la théorie de l’imprévision, elle tire ses sources de la jurisprudence, même la plus lointaine, elle s’inscrit aussi obligatoirement dans le cadre européen…

Quitte à ce que certaines greffes européennes ne prennent qu’avec difficultés. Nous consacrons un B.A.-BA de la commande publique au PPP (lire "Le B.A -BA de l’achat – Le PPP (ou presque !)"). « Parler de PPP est en réalité un abus de langage. Derrière cette appellation se cachent en réalité plusieurs modes contractuels : l’AOT, LOA, le bail emphytéotique aller-retour et…. le contrat de partenariat. C’est en réalité ce dernier qui est souvent appelé "PPP". » Et donc, il faut tout reprendre à zéro pour cerner ce mode de gestion, importation des "Private Finance Initiative" anglo-saxons.
 

Relever le défi

Pour certains, cette interpénétration est une richesse, en tout cas un défi à relever. Jean-Christophe Caroulle (lire "Une journée avec… Jean-Christophe Caroulle : "être au cœur des sujets d’évolutions sociétales, c’est passionnant !") le relève au quotidien, passionné par ces grands enjeux. Mais avec une vision qu’il veut pédagogique : « Il nous faut mettre l’accent sur les RH car l’un des grands enjeux à ce jour demeure la question de la formation du personnel ».
Ne serait-ce peut être, aussi, pour revenir aux fondamentaux : par exemple, la sacro-sainte mise en concurrence... c’est dès le premier euro ! (lire "Une mise en concurrence recommandée dès le premier euro") ; ou encore, pour rappeler la finalité des dispositifs mise en place pour assurer la transparence (lire "Publier les données essentielles, c’est bien. Y accéder c’est mieux !" et "La CNIL publie un guide sur le RGPD et la commande publique") ou encore prendre les choses en main, anticiper (voire permettre) l'application de la loi mise en œuvre (lire " Recourir à la méthode d’analyse du cycle de vie : suivez le guide d’Alliance HQE GBC").


Allez ! On s’accroche…. et on fait au mieux !