Le code de la commande publique (à nouveau) sous le feu des critiques

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"La patience est la force des faibles ; l'impatience est la faiblesse des forts."
Emmanuel Kant



Cette inflation inquiétante, elle ne concerne pas la production normative "commande publique" de cet été. achatpublic.info a veillé tout le mois d’août (et continue : lire, vendredi 31 septembre, notre article "Veille commande publique : ce qu'il faut retenir d'août 2022 "). A n’en pas douter, le crû août 2022 n’est pas très fourni. Faut-il en concevoir une forme de déception ? Ce serait assez malicieux, alors que le petit jeu était, jusqu’à présent, de se gausser d’une fâcheuse tendance à l’adoption de textes lourds en matière de commande publique, au cœur de l’été.

En revanche, il y a bien une réelle impatience à recevoir l’avis de Conseil d’Etat sur la révision des prix dans les marchés publics. Souvenez-vous : début juillet, ministère de l’Économie et des Finances décide d’interroger le Conseil d’État afin d’obtenir des indications claires sur la position à tenir dans un futur très proche (relire "Hausse des prix : Bercy saisit le Conseil d’État pour "pallier l'absence de jurisprudence"" et "Prix dans les marchés publics : les associations d'élus écrivent à Bruno Le Maire").
Les prévisions sur la date de rendu de cet avis tablaient sur "la mi-juillet", puis sur "la fin juillet". A l’heure où sont écrites ces quelques lignes, on ne voit rien venir… Mais il circule désormais une nouvelle estimation : la mi-septembre...
 
 

Les multiples vertus des avis du Conseil d’Etat

Avant d’envisager la demande d’avis sur la révision de prix dans les marchés, il est utile de se rappeler le sens de cette procédure, par laquelle le Gouvernement peut, à tout moment, se tourner vers le Conseil d’Etat pour obtenir son avis sur un point de droit inédit ou complexe. Il est bon de se plonger dans l’article "Conseiller l'État" de Nicole Belloubet (Pouvoirs 2007/4 n° 123, 33 à 50). Elle y liste les multiples vertus, ou effets attendus, de ces avis.
 
  • C’est d’abord une sorte d’examen préventif de légalité confère au texte une forte crédibilité et sécurité juridique. Autrement dit, les contentieux à venir sur la révision des prix dans les marchés publics seront réglés à l’aulne de cet avis.
  • La saisine peut aussi répondre à la nécessité de faire arbitrer par le Conseil un dossier sur lequel deux ministères s’affrontent et de sortir ainsi d’une situation enlisée.
  • Le Gouvernement peut également souhaiter donner du poids à une décision qui ne présente pas, par ailleurs, de grandes difficultés juridiques ou pour éviter que ne naissent des polémiques.
  • Le Gouvernement peut ainsi se défausser sur le Conseil d‘Etat d’une responsabilité qu’il ne souhaite pas prendre. S’agissant de la révision des prix, ce serait une façon assez cocasse de renvoyer la balle, car la DAJ s’appuie sur la jurisprudence du même Conseil d’Etat pour s’appuyer sur le principe d’"intangibilité du prix" ( relire "[Tribune] Pénurie des matériaux : l’insoutenable intangibilité du prix" et revoir "achatpublic invite… Laure Bédier").
  • Les avis du Conseil d’Etat contribuent à forger, par un faisceau d’inspirations concordantes, une position unifiée des autorités françaises forte utile dans le cadre d’une négociation communautaire. Une information intéressante, car les association d‘élus qui ont demandé au ministre de l’Economie de saisir le Conseil d’Etat signalent, dans leur courrier, que « À l’instar de l’Allemagne, d’autres pays européens ont autorisé sous certaines conditions la passation d’avenants actant de nouveaux prix en ligne avec la réalité des augmentations constatées par les fournisseurs » (relire "Hausse des prix : Bercy saisit le Conseil d’État pour "pallier l'absence de jurisprudence""
  • Enfin, autre vertu de la procédure, la rapidité . Selon Nicole Belloubet, « La rapidité d’obtention des avis s’oppose à la lenteur des juges : là où les délais de jugement sont de 9 mois et demi, le délai moyen d’études des textes est de 25 jours, souvent réduit du fait de l’urgence ».

La rapidité, il faut "en l’espèce", ou "dans les circonstances de l’affaire", l’espérer. L’impatience du monde de la commande publique est réelle, et à plusieurs titres : pratique et politique… voire quasi philosophique…
 

Haro sur le code !

Pratique, parce l’impossibilité de modifier le prix dans les marchés publics aux conditions économiques pourrait commencer à se faire sentir de façon dramatique, aussi bien s’agissant de l’exécution des marchés en cours qu’en terme de baisse des investissements et de maintien de certains services publics.

La Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat a fait part de sa forte préoccupation (Relire "L’acheteur public, ce nouveau trader en énergie"). Elle signale qu’on ne peut plus parler de risque de difficultés, car les effets se font déjà sentir concrètement, comme le révèle la lecture des entretiens et auditions du rapport "Les collectivités territoriales face à la hausse du coût des énergies"

Les auditions conduites par la délégation stigmatisent le code de la commande publique, vécu comme un " frein". C’est ainsi « à cause de la réglementation » que les collectivités ne peuvent recourir au "power purchase agreement", ce contrat direct entre un client et un producteur d’énergies renouvelables, permettant également une meilleure prévisibilité du prix (rapport, p.19 – Relire aussi "Energie propre et facile d’accès : France Urbaine et la FNCCR proposent au législateur le "Marché de consommation d’énergies renouvelables"" et "Achat public d’électricité : le recours au corporate Power Purchase Agreement"). 

«Les règles trop contraignantes du Code de la commande publique (notamment la limitation de la durée des contrats) freinent l’essor de ces outils contractuels en empêchant les acteurs publics de se couvrir dans le temps vis-à-vis de marchés de l’énergie extrêmement volatils (rapport Sénat, p.9) Et pour Nicolas Garnier, délégué général de l’association Amorce (rapport, p. 21) : « Il faut encourager les collectivités locales à acheter local, en circuit court, pour contourner le marché de l’énergie. Deux limites à cette ambition : le code de la commande publique ne permet pas de fixer l’origine de la production, et on ne peut pas lancer des appels d’offres de plus de quatre ans, alors que le principe même de l’achat de proximité est de donner de la visibilité au producteur, en échange d’une baisse des prix. »
 

L’adaptabilité en question

L’avis du Conseil d’Etat sera donc analysé à l’aulne de l’adaptabilité, tant réclamé, qu’il octroiera (peut-être) au droit de la commande publique. Me Nicolas Charrel a souligné dans nos colonnes cet enjeu (relire "Commande publique : le droit à la refondation ?" : « Les curseurs de la réglementation doivent pouvoir être plus librement modifiés pour tenir compte de la forte évolution de l’achat public qui s’est amplement professionnalisé ces dernières années et qui demande à l’être davantage. » Il assure que « L’idée n’est évidemment pas de détricoter le droit existant, mais d’imaginer les évolutions qui peuvent rapidement s’avérer nécessaires sur le plan européen, national, mêlant optimisation des procédures et des techniques d’achat. »

Alors oui, nul ne peut présumer de ce que dira le Conseil d’Etat, il faut l’espérer, dans les jours à venir, sur la révision des prix. Mais c’est aussi à la sempiternelle question de la flexibilité et de l’adaptation du droit du droit qu’il aura apporté une réponse…