Copie de sauvegarde : la réglementation de la commande publique à rebours de la pratique ?

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"Il est infiniment plus facile de prendre position pour ou contre une idée, une valeur, une personne, une institution ou une situation, que d'analyser ce qu'elle est en vérité, dans tout sa complexité"
Pierre Bourdieu


La finalité des "Tribunes" qu’achatpublic.info propose à la plume des acheteurs publics, avocats et universitaires, c’est d’exprimer un point de vue, une alerte ; parfois "le décryptage" d’un texte ou d’une décision. S’agissant des acheteurs, ce que nous en attendons, ce sont bien des alertes " terrains".
 

De l’or

Une "alerte terrain", cela vaut de l’or : c’est le droit à l’épreuve de de la pratique ! Dans des matières aussi complexes que la réglementation de la commande publique, consulter les acheteurs, c’est même ainsi devenu incontournable. Il n’est désormais de projet de décret ou d’arrêté que la Direction des affaires juridiques (DAJ)  ne soumette à leur avis. Même le Gouvernement, pour ses projets de loi, adopte cette "démarche participative" dans la fabrique de la loi (relire "Projet de loi "Ré-industrialisation verte : "Nous avons besoin de vos idées !").
Certes, les esprits taquins (dont, avouons-le, nous sommes...), pourront soupçonner qu’il y a aussi une part de verni dans cette consultation préalable à caractère participatif. Mais même si l’on partage cette vision, il faut bien reconnaître que les projets de textes, au moins, sont alors rendus publics (relire "Copie de sauvegarde : un projet d’arrêté soumis à consultation"). L’arrêté du 14 avril 2023, qui ajoute un nouveau mode de transmission de la copie de sauvegarde par voie électronique (relire "Copie de sauvegarde dématérialisée : l’arrêté est publié") aura donc lui aussi été soumis à consultation préalable par la DAJ.

Sur le papier, rien de surprenant : il poursuit le grand chantier de la dématérialisation de la commande publique engagé depuis de nombreuses années (consulter notre dossier "SI achat / Dématérialisation").

Sur le papier, rien d’illogique ni de compliqué dans cet arrêté : « le candidat ou le soumissionnaire peut désormais faire parvenir une copie de sauvegarde dans les délais impartis pour la remise des candidatures ou des offres soit sur un support papier ou sur support physique électronique, soit par voie électronique lorsque l'acheteur ou l'autorité concédante l'autorise dans les documents de la consultation. La copie de sauvegarde adressée par voie électronique est transmise au moyen d'outils et de dispositifs « conformes aux exigences minimales des moyens de communication électronique prévus par les dispositions de l'arrêté du 22 mars 2019 relatif aux exigences minimales des moyens de communication électronique utilisés dans la commande publique».

Oui mais, selon l’adage, « le diable se cache dans les détails »...
 

Trop de détails ...

Le diable se cache dans les détails ... « et dans la pratique ! » semble ajouter Jean-Christophe Caroulle dans nos colonnes cette semaine. Pour le Chef du service Stratégie, Performance et Programmation de la Direction de la Commande Publique mutualisée Communauté Urbaine de Dunkerque / Ville de Dunkerque, l’arrêté du 14 avril 2023 soulève plus de questions qu’il n’ouvre d’opportunités au bénéfice des acheteurs (lire "[Tribune] « Copie de sauvegarde, un arrêté qui a tout pour faire mal ! »").
Pire encore, « cet arrêté tient plus d’épouvantail qu’autre chose. Et comme l’acceptation d’une transmission de la copie de sauvegarde par voie électronique est à la discrétion de l’acheteur public on peut craindre que l’option soit bannie, au grand dam des candidats qui sont en recherche de souplesse et de solutions pratiques ».
Autrement dit, sur une matière à la fois technique et à fort enjeux peut-être fallait-il s’abstenir de réglementer : « cet arrêté peut causer de « gros dégâts », car il fixe le droit alors qu’il pouvait y avoir une certaine liberté (nonobstant la directive) pour les acheteurs publics dans l’acceptation de plis par voie électronique dans certaines circonstances ».
 

S’agacer ou espérer

Avec cette affaire, on touche à la question de la " sur-réglementation", mal dont la France serait particulièrement atteinte. Faut-il chercher à tout prévoir par la réglementation, au risque de s’éloigner de la réalité du terrain et à charger la norme ? Faut-il encore se contenter d’appeler, une nouvelle fois, à une prise en compte de la responsabilisation de l’acheteur public ? 

Pour certains, il faut encore espérer : « je rêve d’une directive 2024 qui transforme la règle "dure" en règle "souple" pour chacun des états, en particulier sur le libre choix de la procédure négociée... Que le texte renvoie des messages d’adaptation avec un choix des procédures pour respecter les grand objectifs définis après discussion au niveau européen sur le libre-échange, le développement durable … La procédure serait choisie au regard de la réponse à ces 3 questions : Pour qui ? Pour quoi ? Avec quels objectifs ?» (relire "Interview Nicolas Charrel Commande publique : " Je rêve d’une directive 2024 qui transforme la règle dure en règle souple"). 

Ou céderons-nous à l'agacement, voire à l'extrême sévérité, à l’instar d’Alain Lambert, notre président du Conseil National d’évaluation des normes à la plume acérée ? Rappelons-nous : à l’occasion de la publication du décret marchés publics (relire "Alain Lambert : «le droit de la commande publique est abscons et dangereux »), il avait lancé cette philippique : « Le droit est abscons, dangereux et insécurisant. C’est un concours de parapluies entre les agents de l’Etat. Un gaspillage d’argent public par une bande de technocrates qui se sont organisés pour être les seuls à comprendre le droit et évacuer toute personne normalement constituée d’y comprendre quelque chose ! ».

C’est lui qui le dit...