Achat public : les outils et la volonté

partager :

« Si l'homme ne façonne pas ses outils, les outils le façonneront »
Arthur Miller


« Pour être à la hauteur des enjeux de demain, soit nous nous mettons en capacité d’anticiper, soit nous restons dans l’irrationnel. Il faut nous mettre au travail et relever de grands défis ». Christophe Mari, ingénieur en chef de à la direction de l’hôtellerie, de la logistique et de la transition écologique de l’AP-HM (lire "Une journée avec… Christophe Mari : « Soit nous nous mettons en capacité d’anticiper, soit nous restons dans l’irrationnel »") est de ces acheteurs publics "modernes". Ceux qui ne se contentent pas de suivre la réglementation, mais s’évertuent à en comprendre le sens et les opportunités. Autrement dit, ceux qui "jouent le jeu" de l’achat public durable. Ce n’est pas un "engouement", mais bien un acte politique.
La difficulté avec "les engagés de l’achat public", c’est qu’ils sont aussi critiques, ou à tout le moins déçus quand, en face des objectifs, les moyens font défaut ou se font attendre. Et quand l’outil manque, le mieux, c’est de le créer soi moi-même…
 

Les outils manquent … ou leur mode d’emploi ?

Un exemple : l’achat en coût du cycle de vie. Or donc, à compter d’août 2026, le critère unique du prix pour l’attribution du marché aura disparu (CCP, art. R. 2152-7). Il sera remplacé par deux critères au choix : soit un critère unique du coût déterminé selon une approche globale (qui peut être fondée sur le cycle de vie) ; soit une pluralité de critères, l’un d’entre eux prenant en compte les caractéristiques environnementales de l’offre.

Notre enquête (lire "Achat public en "Coût du cycle de vie" : où en est-on ?") montre que l’appréhension de l’outil est encore délicate : il reste à cerner les coûts indirects ou externes, et « Les acheteurs attendent l’outil méthodologique définissant les coûts externes promis par l’Etat d’ici 2025 pour comparer objectivement des offres ».

D’ici là, certains acheteurs vont de l’avant : dans les Yvelines, une formation a été montée spécifiquement sur le sujet avec le CNFPT. Tous les acheteurs se sont formés pour arriver à identifier les étapes du cycle de vie et les coûts financiers supportés par l’acheteur. « L’intégration du bilan carbone des entreprises dans les consultations illustre l’avancée en matière de coûts des externalités » explique Nicolas Lallemand, directeur de la commande publique Yvelines-Hauts-de-Seine (relire aussi "Hauts-de-Seine et Yvelines : le pari gagnant de la mutualisation").
 

Des outils qui font peur ?

Faut-il à l’inverse craindre des outils trop nombreux, faisant disparaître le savoir-faire et étouffant la capacité d’initiative et d’anticipation de l’acheteur public ?

Car en l’absence, pour l’instant, des outils promis par le Gouvernement pour mettre en œuvre les obligations issues de la loi "Climat et Résilience", la mise à disposition d’outils par des entreprises ou des associations s’étoffe au fil des semaines. Certes, l’Etat fait des annonces, notamment s’agissant de "Ecobalyse", « calculateur pédagogique et collaboratif », qui entre dans sa phase test menée par les équipes du CGDD. "Ecobalyse" devrait permettre d'estimer rapidement les impacts environnementaux d'un produit à partir de quelques critères simples (relire "Définition et analyse du coût du cycle de vie des biens : une plateforme en 2024").

Par exemple, Philippe Mangeard, Président-fondateur de GlobalClimateInitiatives (GCI) propose une plateforme digitale pour calcul du "poids carbone" (relire "[Interview] Philippe Mangeard : « La réduction des émissions de CO2 est dans la main des acheteurs»").
Pour l’organisation professionnelle des Entreprises générales de France BTP, particulièrement sensible aux enjeux de la la communication extra-financière des entreprises, l’ambition de développement durable se heurte à des définitions manquant parfois de clarté. Elle publie donc un Livre blanc visant à fournir « une grille d’interprétation qui rend les critères de la taxonomie applicables au secteur de la construction » (relire "EGF-BTP publie un livre blanc sur l'interprétation des critères de la taxonomie verte européenne").

La technologie n’est pas là pour remplacer l’acheteur, mais au contraire pour l’aider à se recentrer sur son métier, « qui n’est pas de courir après les attestations ou de faire des contrôles sur les chantiers. Il a des tâches à plus haute valeur ajoutée à réaliser » assurent Frédéric Pradal et Sébastien Taupiac. Non, on ne parle pas d’Intelligence artificielle, mais d’outils pour lutter contre le travail illégal dans la commande publique. Sur cette question de plus en plus sensible, en lien croissant avec les enjeux de devoir de vigilance et de réputation, des solutions existent connectées à l’URSSAF, afin de récupérer directement les attestations de vigilance des fournisseurs, sans passer par des mails et des courriers qui ne prouvent pas forcément l’authenticité de ces documents. «Il faut que les organisations achats investissent dans la technologie ! », assènent-ils (lire "Achat public : La technologie au service de la lutte contre le travail illégal").
 

Impulsion politique

C’est souvent répété : sans impulsion politique, difficile, même pour l’acheteur public le plus diligent, de conduire rapidement son entité vers une politique d’achat responsable efficace. Certains politiques se lancent pourtant.
Cette semaine, nous sommes allées à la rencontre de François Bertrand. Le directeur général adjoint Territoires et Mobilités au département de l’Essonne pousse au développement d’une société publique locale "Essonne Alimentation" en vue de la fourniture de légumes à la rentrée 2025, pour soutenir la diversification et l’adaptation de l’agriculture essonnienne au changement climatique (lire "[Interview] François Bertrand : « Le circuit court est un acte politique ! »").
Un engagement fort : « On achètera effectivement sans doute un peu plus cher la carotte en circuit-court que via les distributeurs traditionnels (…) Le projet de la légumerie part d’une intention politique. (...) Créer cette commande publique, ce circuit-court "de la fourche à la fourchette" est un acte politique ! ».

L’Etat, lui, se met dans une position de "facilitateur" : « On entre dans une phase où collectivement, vous [les élus locaux] aller devenir des entrepreneurs des énergies renouvelables, comme vous avez été les développeurs de vos territoires », déclare Agnès Pannier-Runacher à l’occasion du Salon des maires et des collectivités locales 2023 (relire "[SMCL 2023] Un Salon des Maires et Collectivités locales plein d’énergie… renouvelable") La ministre de la Transition énergétique annonce ainsi la mise en place d’un l’organisation d’un réseau d’élus pionniers, dit les « ambassadeurs des énergies renouvelables ».
Le Commissariat général au développement durable (CGDD) lançait le lundi 6 novembre 2023 sur la plateforme OpenClassrooms un cours en ligne intitulé "Engagez-vous dans l'achat public !", dédié aux fondamentaux des achats durables (relire "Le CGDD lance un cours en ligne pour se former aux achats durables").
 

L’éveil des élus ?

Mais c’est sans doute par l’action des associations d’élus que cette impulsion politique se déclenchera pleinement, à hauteur des enjeux.
Des « Ambassadeurs » ? France Urbaine considère qu’en matière d’achat public durable, les progrès à réaliser concernent principalement l’accompagnement et la formation des collectivités et des entreprises. Donc acte ! Elle veut réunir régulièrement ses adhérents pour développer « une communauté d’élus, "ambassadeurs de la commande publique et de l’achat responsable"» (lire "France urbaine : « Pour que la commande publique soit un sujet politique en 2024 »").

L’association France Villes & Territoires Durables mise, elle, sur la sobriété : « La commande publique ne peut pas rattraper des orientations politiques non sobres ! » assure son directeur général Sébastien Maire (relire "[Interview] Sébastien Maire : « La sobriété, une politique du renoncement »").

 Une nouvelle fois, c'est "du terrain" que l'énergie créatrice émerge...