Achat public : les chemins tortueux de la simplification

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« Il y a un but, mais pas de chemin ; ce que nous nommons chemin est hésitation »
Franz Kafka


Est-ce devenu un passage obligé ? Depuis une vingtaine d’années, chaque nouveau Gouvernement annonce systématiquement, en début d’exercice, un « choc de simplification ».
Le Gouvernement Barnier reprend le projet de loi de simplification de la vie des entreprises et veut en faire un marqueur. Ce sera donc un des premiers textes qu’il sera parvenu à faire adopter. En même temps, un nouveau projet de décret de simplification de la commande publique est soumis à consultation (lire "La simplification de la commande publique est décrétée !" et "Projet de décret de simplification de la commande publique : le diable est dans les détails").

Mais qu’est-ce qui pousse tous les gouvernements à emprunter ce même chemin, quitte à s’y embourber ? Car la promesse est toujours belle, mais le voyage compliqué et la destination rarement atteinte… notamment en matière de commande publique.
 

Destination : simplicité

Tous les textes de simplification de la commande publique présentent les mêmes objectifs : moderniser et rendre plus efficace l’administration, pour stimuler l’économie en facilitant la participation des entreprises aux marchés publics, qu’il s’agisse des PME et start-up, avec pour ces dernières le prisme de l’innovation. Et tout le monde admet aujourd’hui que les objectifs de développement durable par l’achat public, s’ils existent bien, sont aussi doublés de considérations de localisme.

Les moyens avancés sont aussi désormais classiques.
D’une part, la dématérialisation des procédures. Le moyen pourrait sembler éprouvé, si certaines turpitudes récentes, comme la mise en place douloureuse des E-Forms ou la volonté de centraliser l’achat public sur une seule plateforme (relire "La « simplification » contre la souveraineté nationale ? et "Publicité et dématérialisation : faire "Place nette", une bonne idée ?") ne venaient compliquer ce qui ne devrait être qu’un "outil", et non un "enjeu".
D’autre part, la réduction des textes juridiques. Mais constatons que notre code de la commande publique est bien loin d’avoir entamé une cure d’amaigrissement, avec ces textes de simplification. Et ce alors même que le concours des formules chocs qui les accompagnent témoigne d’une forte créativité, de la lutte contre « l’incontinence normative » en passant par la « logorrhée administrative » jusqu’à « rendre des heures aux français »…
 

Les seuils : du hors-piste !

On n’a volontairement pas mentionné, la hausse des seuils comme outil de simplification. L'omission est volontaire, car augmenter la surface du "hors procédure formalisée", ce n’est pas simplifier, mais éviter les difficultés. C’est pourtant un levier constamment évoqué.

En la matière, le "rapport Ravignon" sur le coût du millefeuille administratif (relire "Le millefeuille administratif à la sauce commande publique"), dont on ne connaît pas encore les potentielles reprises, n’y va pas avec le dos de la cuillère : pour réduire les contraintes en matière de publicité et de mise en concurrence, il préconise de le faire passer de 40 000€ à 150 000€ HT pour les fournitures et services, et de 100 000 à 250 000 € HT pour les marchés publics de travaux. Il y est même songé de supprimer le seuil publicitaire de 90 000€ HT…

En leur temps, certains proposaient déjà la suppression du code de la commande publique, la réglementation européenne proposant un cadre juridique suffisant (ce qui aurait comme avantage, reconnaissons-le, de répondre à la critique de "sur transposition à la française"…) : « Le Code de la commande publique pourrait tout à fait être transformé en guide de bonnes pratiques. La suppression des seuils nationaux pour les aligner sur les seuils européens constituerait un signal fort, et un moyen de rendre bien plus efficient l’achat public » (relire "[Tribune] Alain Lambert : «Pour une transformation du droit de la commande publique»").

Ceci dit… quand on constate les interrogations persistantes autour des achats en dessous de 40K, il y a de quoi s’interroger sur la capacité à faire jouer la transparence, la concurrence et de l’égalité de traitement sans un minimum de procédures formalisées,au sens d'une pratique encadrée … (lire, cette semaine, "Achat public sous les seuils : dissonance entre le politique et l’autorité financière" et "Marché public de faible montant : pas d’impasse sur les bonnes pratiques achats !" et relire "Commande publique et devis : une procédure non adaptée" et "Pas d’achat local, même en dessous de 40 000€ !").
 

Départs en ordre dispersé

Ce qui marque aussi, dans ces entreprises de simplification de la commande publique, c’est la confusion quant aux véhicules normatifs : tous les gouvernements organisent ( le terme n’est pas adapté …) un départ de course vers la simplification de la commande publique en ordre dispersé.
En 2021, La loi "Climat et résilience "était à peine adoptée que le rapport "Havet & Beaudouin-Hubière" listait une quarantaine de recommandations pour une commande publique (encore) plus sociale et environnementale (relire "Vers un achat public encore plus responsable : de nouvelles recommandations aux acheteurs").
Schéma quasi identique : alors que la proposition de loi de simplification de la vie des entreprises est en plein parcours législatif, le "rapport Ravignon" propose encore d’autres pistes. Incompréhensible timing, sauf à considérer que ce rapport constitue en réalité un fort gisement d’amendements pour le passager du texte devant l’Assemblée nationale…

A propos d’amendement… On relèvera que la ministre Olivia Grégoire s’était opposée, sans succès, au Sénat, lequel a fini par pérenniser le seuil de 100 000 euros pour les marchés de travaux dans le projet de loi. Pour la ministre, un seuil, cela doit rester "réglementaire", car plus facile ainsi à modifier. C’est sans doute pour cela que le nouveau projet de décret de simplification pérennise le seuil ... mais dans la partie réglementaire du code.

Dans le même ordre d’idées, on notera que le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne corrige aussi une anomalie légistique à propos des "marchés innovants" : le Gouvernement souhaite supprimer le critère "JEI" pour l'achat innovant, introduit dans la loi de finances pour 2024 (relire "Marché « achat innovant » : quand innovation se confond avec jeunesse"). Le Conseil d’Etat est d’accord… (relire "Achat innovant : le critère de « Jeune entreprise innovante» a du plomb dans l'aile"). 
Mais il ne semble pas exclu que le critère « JEI » puisse revenir dans la partie règlementaire du code de la commande publique : le nouveau décret de simplification de la commande publique serait un véhicule normatif adapté. D’ailleurs, à ce stade, il prévoit de passer le seuil du dispositif de l’achat innovant à 300 000€… mais uniquement pour les marchés de défense ou de sécurité.
 

Et l’acheteur public, dans tout cela ?

Plus aucun acheteur ne fait semblant d’y croire : aucun texte de simplification de la commande publique n’a pour objet, ni même effet, de lui simplifier la tâche. Le tout dernier projet de décret de simplification de la commande publique n’échappe pas au constat, comme le montre notre analyse en détail (lire "Projet de décret de simplification de la commande publique : le diable est dans les détails") : « pas de simplification, au premier abord pour les acheteurs publics. Même, moins de souplesse. Surtout, nous relevons de nouvelles ambiguïtés... qu’il faudra lever ! »

En revanche, tous les textes de simplification de l’achat publics affichent leur confiance envers les acheteurs publics pour leur mise en œuvre, tout en appelant à leur "professionnalisation" et, parfois, à la formation des élus à la commande publique.

Une note positive, cependant : bien que la complexité du code de la publique a été un temps identifiée comme un des causes de la crise de l’assurance des collectivités territoriale, il semble désormais que l’accusation ne soit plus de mise. Sans doute, parce que la complexité, en ce secteur, est surtout liée à des considérations économiques et de marché.

En revanche, on demande à nouveau aux acheteurs de revoir leurs pratiques (lire "Crise assurantielle : vers une adaptation de l’acheteur public").