La remise interlots : gare au miroir aux alouettes

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Séduisante sur le plan économique, la présentation d’offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus pourrait rapidement devenir un véritablement casse-tête pour les acheteurs. Notamment s’agissant de la méthode d’analyse des offres ou encore en cas de résiliation d’un lot objet de l’offre variable.

L’article 32 I alinéa 4 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 modifie le dispositif relatif à l’allotissement en ce qu’il autorise la présentation d’offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus : « les offres sont appréciées lot par lot sauf lorsque l’acheteur a autorisé les opérateurs économiques à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus ». Au premier abord, une telle possibilité pourrait être relativement bien accueillie par les acheteurs publics et les opérateurs économiques qui soumissionnent à des marchés publics. « La possibilité de présenter des offres variables en fonction des lots susceptibles d’être attribué est une question récurrente de la part des entreprises candidates, observe Olivier Griess, chargé de mission régional achat (CMRA) en Pays de la Loire. Elles ont souvent du mal à comprendre qu'elles ne peuvent pas étendre à la commande publique une pratique commune dans le domaine privé», remarque-t-il. Charly Justaut, acheteur à l’Ecole vétérinaire de Toulouse, trouve cette possibilité intéressante. « Elle permet de favoriser les groupements d’entreprises, ce qui peut faciliter l’accès des PME voire TPE aux marchés publics », indique-t-il. L’autre point positif est, pour l’acheteur, « d’éviter les macro-lots « au départ ». Dès lors, plus de candidats pourront proposer des solutions ». « La présentation d’offres variables favorise, également, l’émergence d’offres plus compétitives – notamment en termes de prix – et permet aux candidats de se positionner de manière plus efficiente sur plusieurs lots », relève maître Thomas Laffargue, avocat associé au cabinet Earth avocats. Mais à y regarder de plus près, cette possibilité soulève un certains nombres d’interrogations, voire de difficultés, qui pourraient dissuader les acheteurs publics de recourir à une telle faculté. La première est celle de la situation des PME. « Un tel dispositif risque de leur être défavorable », indique l’avocat. « Ne risque-t-on pas de faire le jeu des grandes entreprises ? » s’interroge Olivier Griess.

Comment analyser les offres ?

Cette faculté pose des questions quant à la manière d’analyser les offres. « Elle ne doit pas apparaître contraire aux principes de transparence des procédures et d’égalité de traitement des candidats », rappelle maître Laffargue. Mais comment procéder ? L’avocat avance une première piste.

L’analyse des offres ne doit pas apparaître contraire aux principes de transparence des procédures et d’égalité de traitement des candidats

« Il pourrait tout d’abord être envisagé d’analyser ces offres sur le modèle de l’analyse des offres variantes. Cette méthode paraît toutefois présenter des risques juridiques, ajoute-t-il immédiatement. Au travers de la mise en œuvre d’une telle méthode, pour chacun des lots, toutes les offres remises – qu’il s’agisse d’offres dites « classiques » ou d’offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus – seraient comparées. Or une offre variable – présentée pour le lot 1 et le lot 2 d’un marché – qui serait jugée économiquement la plus avantageuse pour le lot 1 devrait également l’être pour le lot 2, ce qui ne pourrait être garanti, estime Thomas Laffargue. De surcroît, cette méthode risque de poser des difficultés au regard de l’article 32 de la nouvelle ordonnance marchés publics qui prévoit que, lorsqu’il est possible de présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d'être obtenus, les offres ne sont pas appréciées lot par lot ». Maître Laffargue serait plutôt favorable à une analyse globale de l’offre variable remise par un candidat en vue de l’attribution de plusieurs lots. « Cette offre, en application des critères de jugement des offres et de leur pondération définis par les documents de la consultation, se verrait attribuer une note qui vaudrait pour chacun des lots objet de l’offre variable. Les lots de l’offre variable seraient eux attribués au candidat ayant remis cette offre variable dès lors que celle-ci obtiendrait la meilleure note pour chacun de ces lots », explique-t-il.

Quid de l’exécution du marché ?

L’avocat estime que cette possibilité soulève également des interrogations au titre de l’exécution du marché, dans l’hypothèse où l’offre variable présentée par un candidat aurait été retenue.

une innovation intéressante à utiliser avec discernement en fonction de l’objet du marché

« On peut notamment s’interroger sur les conséquences de la résiliation de l’un des lots objet de l’offre variable. Le titulaire du lot ainsi résilié devra-t-il continuer à exécuter le ou les autres lot(s) objet de son offre variable aux conditions prévues par celle-ci ou bien aux conditions prévues par les offres dites « classiques » remises en vue de l’attribution de chacun de ces lots non résilié, précise Thomas Laffargue. On ne peut ici qu’encourager les acheteurs publics à prévoir – au travers des pièces contractuelles du marché – le dispositif applicable. Il pourrait d’ailleurs être envisagé de prévoir une solution distincte selon que la résiliation est une résiliation pour motif d’intérêt général ou une résiliation pour faute du titulaire », conseille l’expert. Olivier Griess et Charly Justaut y voient, au final, « une innovation intéressante », à « utiliser avec discernement en fonction de l’objet du marché » et « quand le sourcing a montré qu’il y a un intérêt ».