Sourcing : un week-end à Rome qui pourrait conduire en prison

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Mardi dernier, le maire de la commune de Rodilhan, un conseiller municipal, le maître d’œuvre et un fournisseur ont comparu devant le tribunal correctionnel pour atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics. En cause, un déplacement en Italie pour examiner une pelouse de stade innovante.

S’ils avaient su, ils n’y seraient pas allés. Le maire de la commune de Rodilhan (département du Gard), un conseiller municipal, le maitre d’œuvre se souviendront longtemps de leur week-end à Rome. Ce déplacement payé par l’entreprise qui remporté le contrat pour la pelouse du nouveau stade de Rodilhan, pourrait leur coûter cher. Devant le tribunal correctionnel de Nîmes, le procureur a requis 6 mois de prison avec sursis pour le maire, 4 mois avec sursis pour le conseiller municipal et le maitre d’œuvre et 30.000 euros d’amende pour l’entreprise. Pour bien comprendre l’affaire, un petit retour en arrière s’impose. En 2011, la ville décide de construire un stade de football sur son territoire. Le futur équipement sera implanté au-dessus d’une nappe phréatique. Une étude hydrogéologique conseille d’éviter les produits phytosanitaires. De plus, il faudra être vigilant quant à l’utilisation de la ressource en eau. La ville se voit présenter lors d’une journée technique un type de gazon, le bermuda grass. Cette herbe, sorte de chiendent, nécessite dix fois moins d’eau que le gazon traditionnel. Résistant, il n’a pas besoin de traitement phytosanitaire. Seul inconvénient, il jaunit en période hivernale. Le fournisseur, dont le produit n'a jamais été commercialisé en France, propose à la ville d’aller se faire une idée en allant voir le stade Olympico de Rome. Une délégation de la commune se rend donc dans la capitale italienne. Séduit, le pouvoir adjudicateur demande, à son retour, au maître d’œuvre de prévoir ce type de pelouse dans le cahier des charges. Le cahier des charges et le bordereau de prix unitaire indiquent que les candidats devront proposer un gazon avec du semis de type bermuda grass. Un concurrent évincé dépose plainte pour délit de favoritisme. Selon lui, les dés étaient pipés depuis le week-end romain : seule l’entreprise qui a organisé le voyage pouvait gagner. De plus, son offre n'était pas conforme, car elle a proposé du semis et des microplaques. Pour le procureur du tribunal, l’affaire est simple : il faut condamner.

L’absence de références n’est pas un motif d’exclusion

Pas une seule fois au courant de l’audience, les magistrats n’ont cité un article du code des marchés publics. Pendant l’instruction, le président s’est étonné du choix d’une entreprise italienne. « Pourquoi pas une entreprise de la région ? En termes de bilan carbone, c’est plus avantageux ? ».

Ici, nous ne sommes pas devant le Conseil d’Etat !

L’avocat du maire a pris soin de rappeler que le localisme est interdit en droit de la commande publique. C’est d’ailleurs le Conseil d’Etat qui le dit. « Ici, nous ne sommes pas devant le Conseil d’Etat ! », a rétorqué le président. Peut-être. Mais cela ne doit pas l’empêcher d’appliquer les principes dégagés par les textes et la jurisprudence. « On reproche au pouvoir adjudicateur d’avoir retenu une entreprise qui n’avait pas de références. Mais depuis 2006, on ne peut pas évincer un candidat en raison de l’insuffisance ou de l’absence de références surtout pour la fourniture et pose d’un gazon qui représent 6.000 € sur… 355.000 €. De plus, un candidat peut se prévaloir des références d’un sous-traitant », rappelle maître Nicolas Charrel, avocat au barreau de Paris. « Cette situation ne préjudicie ni à la commune, ni à l’entreprise. D’ailleurs, cette dernière ne s’est pas constituée partie civile », observe l’avocat parisien. Et de poursuivre, « même en neutralisant le critère relatif au gazon, l’entreprise attributaire aurait quand même obtenu le marché. L’entreprise évincée n’a donc pas été lésée. Elle n’était pas la mieux disante. »

Un voyage professionnel

Les prévenus risquent une condamnation pour des comportements qui n’étaient pas forcément illégaux à l’époque. En cause, le fameux week-end à Rome (départ jeudi et retour samedi). « On ne peut pas reprocher aux personnes publiques d’aller chercher des solutions innovantes. A l’époque, la commune de Rodilhan a été la première à importer une technique innovante. Depuis d’autres stades utilisent cette pelouse », relève l’avocat. « Aujourd’hui la pratique du sourcing est consacrée par les textes », ajoute-t-il.

Ça ne me choque pas que ce soit l’entreprise qui paie mais il faut éviter les cadeaux somptuaires

Le voyage en cause, qui n’avait rien de touristique, a coûté au total à l’entreprise à 400 euros par personne pour un total de 2000 euros (voyage en low cost et 2 nuits dans un hôtel de la périphérie, ça fait rêver…). La question qui se pose est de savoir qui paie. « Ça ne me choque pas que ce soit l’entreprise qui paie mais il faut éviter les cadeaux somptuaires. Il ne faut pas tomber dans la corruption. Si la collectivité avait utilisé les fonds publics pour ce déplacement, elle aurait pu être accusée de détournement de fonds publics et les agents pourraient être condamnés à des peines plus lourde. Il n’est pas anormal que l’opérateur économique paie. Après, il faut s’astreindre à un code de bonne conduite et être transparent », estime Nicolas Charrel. « C’est un procès pour rien. On reproche des choses qui sont aujourd’hui encouragées et qui sont réglementairement consacrées » L’affaire a été mise en délibérée à la fin mars 2017.