Equipements du concessionnaire acquis avant le contrat : bien de retour ou bien de reprise ?

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La théorie des biens de retour s’applique-t-elle à l’encontre des équipements du concessionnaire, acquis avant la conclusion du contrat, mais nécessaire à l’exécution du service public ? Cette problématique n’avait pas été traitée par le Conseil d’Etat, dans sa décision d’Assemblée Commune de Douai de 2012. Les sages du Palais Royal ne pourront, cette fois-ci, éluder la question à l’occasion d’un contentieux portant sur le retour dans le patrimoine du concédant des remontées mécaniques.

Le Conseil d’Etat va devoir s’attaquer, à l’occasion d’un contentieux, à une problématique non traitée en cassation en matière de concession, à savoir le sort, à la fin du contrat, des ouvrages du concessionnaire acquis avant la signature mais nécessaire à l’exécution du service public. Autrement dit, la théorie des biens de retour s’applique-t-elle à l’encontre de ces équipements (qui plus est déjà amorti). Les sages du Palais Royal, siégeant une première fois en décembre 2017 en section réunie, se sont de nouveau retrouvés le 15 juin dernier, cette fois-ci en section de contentieux pour trancher le litige qui leur était soumis. L’affaire en cause est très particulière car le litige résulte des effets de la loi dit montagne de 1985. Pourtant la portée de cette future décision sera générale, a souligné Olivier Henrard, le rapporteur public. En l’espèce, la communauté de commune de la Vallée de l’Ubaye a en 2013 déclaré infructueux, par délibération, le renouvellement de la délégation de service public, signé quinze ans plutôt, pour l’aménagement du domaine skiable et l’exploitation des remontées mécaniques. Elle a alors décidé de reprendre l’activité en régie. Un protocole a été conclu avec l’ancien prestataire ayant pour objet le rachat, par la personne publique, des installations antérieures à la convention, pour une valeur de 3,7 millions d’euros HT. Le préfet a déféré la délibération approuvant cet acte au motif que les ouvrages en question n’étaient pas des biens de reprise mais des biens de retour. Quel est l’enjeu ?

Soit, ils sont vus comme des biens de reprise et dans cas... le concessionnaire dispose d’un droit d’aliénation en raison de sa qualité de propriétaire

 Soit ces installations sont qualifiées ainsi et, de facto, le concédant en est le propriétaire et il les intègre gratuitement, dès qu’ils sont amortis, dans son patrimoine. Soit ils sont vus comme des biens de reprise et dans cas, outre les faits que le concessionnaire dispose d’un droit d’aliénation en raison de sa qualité de propriétaire et le risque pour la personne publique de les voir disparaître, le concédant devra négocier leur rachat, sans toutefois accorder de libéralité, s’il veut en disposer. Le ministre de l’Intérieur s’est pourvu en cassation après que le représentant de l’Etat du département n’ait pas obtenu gain de cause devant la cour administrative d’appel (CAA) de Marseille.

Silence des juges concernant les propriétés ab initio à la concession


Pour mémoire, la décision d’assemblée commune de Douai a défini pour la première fois le bien de retour : « Dans le cadre d’une délégation de service public ou d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique » (CE Ass., 21 décembre 2012, n°342788). La haute juridiction n’avait pas à prendre explicitement position concernant les biens dont le concessionnaire était propriétaire antérieurement à la signature de son contrat. Devant ce silence, la CAA de Marseille s’est appuyée, dans le présent litige, sur un principe dégagé auparavant par sa consœur de Lyon (et réaffirmé par la suite) :

« Lorsque l’acquisition des biens n’a pas été financé directement ou indirectement par la collectivité dans le cadre du contrat, la théorie des biens de retour ne doit pas s’appliquer »

« Si les règles qui gouvernent les concessions de service public imposent que les biens nécessaires au fonctionnement du service public appartiennent à la collectivité concédante dès l’origine, ce principe ne trouve pas nécessairement à s’appliquer à toute convention d’exploitation d’un équipement, lorsque le délégataire en était propriétaire antérieurement à la passation de la convention et qu’il l’a seulement mis à disposition pour l’exécution de celle-ci ». Le rapporteur public avait considéré, lors de la première audience, que « lorsque l’acquisition des biens n’a pas été financé directement ou indirectement par la collectivité dans le cadre du contrat, la théorie des biens de retour ne doit pas s’appliquer », pour proposer le rejet du pourvoi.

L'affectation au service public, le critère clef


Cependant, le rapporteur public s’est ravisé dans un second temps. Il reprend son raisonnement énuméré ci-dessus en l’axant davantage sur la théorie des biens de retour et en prenant du recul sur les problématiques liées aux remontées mécaniques. La circonstance selon laquelle les équipements ont été acquis par le titulaire antérieurement ou pendant celle-ci n'était, en revanche, pas un critère opérant pour déterminer la catégorie de ces biens. « Si cela avait été le cas, la décision Commune de Douai dont la portée est générale aurait établi cette distinction » a-t-il précisé.

C’est dès leur affectation au service public que les biens de retour sont la propriété du concédant

Le rapporteur public a rappelé ensuite que « c’est dès leur affectation au service public que les biens de retour sont la propriété du concédant, sous réserve de la faculté d’y déroger ouverte seulement pendant la durée du contrat (possibilité offerte par l’arrêt Commune de Douai pour les biens situés sur les propriétés des personnes privées) mais jamais à l'issue de celui-ci ».

L'équilibre financier doit être maintenu


Qu’en est-il de l’équilibre financier de l’acte contractuel se soucient l’intercommunalité et l’ancien prestataire. Les défendeurs ont fait valoir que c’est le paiement des équipements par l’usager qui justifie l’intégration gratuitement des biens de retour. Ils ont ainsi déduit que cette condition ne serait pas remplie pour les installations appartenant déjà à la société.

Le concessionnaire, lorsqu’il candidate, doit valoriser les investissements à venir aussi bien que les équipements dont il est déjà propriétaire et qui sont mis à disposition pour l’exécution.

D’après le rapporteur public, le concessionnaire, lorsqu’il candidate, doit valoriser les investissements à venir aussi bien que les équipements dont il est déjà propriétaire et qui sont mis à disposition pour l’exécution. « L’ensemble des biens nécessaires au fonctionnement du service public, à acquérir ou déjà acquis, sont ainsi financés par le contrat » a prévenu le maître des requêtes. Olivier Henrard est conscient néanmoins des difficultés quant à la fixation de la valeur de ces derniers. D’autant que dans cette affaire, les ouvrages concernés sont partiellement ou totalement amortis. « En réalité, il reviendra [aux parties] de s’accorder sur les éléments pertinents au vu des circonstances particulières de chaque espèce sous réserve que l’indemnisation n’aboutisse pas à accorder une libéralité au concessionnaire », a reconnu le rapporteur public. Il évoque par la suite l’hypothèse suivante. Si un déséquilibre est constaté durant l’exécution, aboutissant à un enrichissement sans cause de la personne publique, le cocontractant pourra toujours saisir le juge pour réclamer une indemnité afin de réintégrer la valeur de ses apports dans l’équilibre économique du contrat. En conclusion, le maître des requêtes a demandé finalement l’annulation de l’arrêt de la CAA.