[Tribune] La commande publique, grande absente du plan de relance des entreprises innovantes

  • 11/06/2020
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La sortie de crise et les politiques de relance de l’économie auraient donc pu être l’occasion pour le Gouvernement de réaffirmer l'ambition gouvernementale de renforcer les entreprises innovantes. Mais selon Laurent Bidault (Avocat associé - Cabinet DJS Avocats), les mesures de relance annoncées en faveur des entreprises innovantes ne sont que des mesures de soutien financier, et cela alors que l’innovation peine encore à trouver sa place auprès des acheteurs publics...

Depuis plusieurs années, le Gouvernement a pour ambition de favoriser l’accès à la commande publique des start-ups, TPE et PME innovantes, tout en incitant les acheteurs publics à avoir recours aux solutions développées par ces dernières. L’objectif est louable puisqu’il s’agit tout à la fois, de développer par l’intermédiaire de l’achat public, ces entreprises innovantes et de moderniser l’Administration et les services publics.

La crise du Covid-19 a confirmé encore cette nécessité d’une interaction plus importante entre entreprises innovantes et acheteurs publics. Dispositifs de télémédecine, impression 3D, outils de télétravail, modernisation des réseaux, mobilité douce, modes de livraison alternatifs, urbanisme transitoire (pistes cyclables notamment) sont autant de domaines et de solutions développées par des entreprises innovantes, qui se sont ainsi révélés essentiels en cette période.

La sortie de crise et les politiques de relance de l’économie auraient donc pu être l’occasion pour le Gouvernement de réaffirmer cette ambition. Mais jusqu’alors, les mesures de relance annoncées en faveur des entreprises innovantes ne sont que des mesures de soutien financier, et cela alors que l’innovation peine encore à trouver sa place auprès des acheteurs publics. 
 

L’accès à la commande publique des sociétés innovantes : un objectif affirmé…

La volonté de l’État n’était donc plus seulement de soutenir financièrement les entreprises innovantes, mais d’accompagner véritablement leur développement économique en leur ouvrant les portes de la commande publique

Dans le cadre de la présentation de l’expérimentation « achat innovant », le 17 janvier 2019, Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances exprimait la volonté de l’État de faire de la commande publique, « un vrai levier de développement économique » des entreprises innovantes. Par l’intermédiaire de cette expérimentation, un acheteur public peut en effet acquérir une solution innovante, directement, sans publicité ni mise en concurrence préalables, et ce jusqu’à 100.000 euros HT, contre 40.000 euros HT pour une solution "classique" (décret du 24 décembre 2018 n° 2018-1225 portant diverses mesures relatives aux contrats de la commande publique ; Voir également le Guide pratique sur l’achat public innovant). La volonté de l’État n’était donc plus seulement de soutenir financièrement les entreprises innovantes (via notamment le versement de subventions ou l’octroi de crédit d’impôt), mais cette fois d’accompagner véritablement leur développement économique en leur ouvrant les portes de la commande publique.

Dans le même temps, l’acquisition de solutions innovantes par les acheteurs publics est simplifiée, par rapport aux mécanismes contractuels existants jusqu’alors peu adaptés : le partenariat d’innovation est un processus long voire complexe ; le marché public "standardisé" laisse peu d’espace à l’innovation et, enfin ,le marché de recherche et développement ne permet pas d’acquérir la solution qui serait développée à l’issue de la phase de R&D.
L’objectif affiché était donc double : participer au développement des entreprises innovantes en simplifiant l’accès à la commande publique et moderniser l’Administration.  

…mais qui trouve jusqu’à présent peu d’écho en pratique

Plus des deux tiers des acheteurs interrogés par l'OECP déclarent ne pas être formés aux achats innovants !

Lors de sa présentation, Agnès Pannier-Runacher espérait que « l’ensemble des acteurs de la commande publique notamment au niveau local se saisissent de cette mesure et profitent d’offres innovantes tout en soutenant la croissance de nos PME ». Force est de constater qu’aujourd’hui, l’expérimentation n’a pas encore trouvé son public, tant du côté privé que…public. Bien que l’on ne dispose pas encore de données actualisées sur l’utilisation de l’expérimentation, l’Observatoire économique de la commande publique (OECP) recensait seulement 56 recours à l’expérimentation à la date du 10 janvier 2020 .
Manque de communication auprès des acteurs de l’innovation (entreprises, incubateurs, organismes d’accompagnement) et des acheteurs publics, difficulté de ces derniers à appréhender cette expérimentation (en particulier, la notion d’innovation), frilosité à y recourir, défaut d’information sur les solutions innovantes existantes sur le marché, besoin non encore identifié, les obstacles apparaissent nombreux...
L’étude, publiée le 3 juin dernier par l’OECP, « sur les pratiques des acheteurs en matière d’accès des TPE/PME à la commande publique, d’achats innovants et d’achats durables » (relire " L’OECP dévoile sa photographie de l’achat public"), le confirme un peu plus.
Bien que l’OECP précise que les conclusions de son enquête « n’ont pas de valeur démonstrative absolue » (de fait, seulement 218 acheteurs ont participé à cette enquête), il précise cependant qu’« elles peuvent donner certaines indications sur le ressenti et les pratiques ».
Or, il en ressort que plus des deux tiers des acheteurs interrogés déclarent ne pas être formés aux achats innovants. Et, si presqu’un tiers des acheteurs déclarent connaitre le dispositif « achat innovant », seulement 26% déclarent envisager d’y avoir recours, contre 42% déclarant qu’ils n’y auront pas recours (32% des acheteurs ignorant s’ils y auront recours).

Les résultats de cette enquête rejoignent les cas rencontrés dans la pratique. D’un côté, on rencontre des acheteurs qui n’ont pas connaissance ou qui ne sont pas formés (ou rassurés) pour appréhender cette expérimentation et l’innovation en générale. D’un autre côté, des entreprises innovantes et des structures d’accompagnement (pourtant très souvent soutenues et financées par le public) qui ignorent l’existence de ce dispositif, voire même parfois qui ignorent la commande publique comme un potentiel marché.

Un plan de soutien aux entreprises innovantes qui "oublie" la commande publique

C’est un retour en arrière : l’accompagnement des entreprises innovantes n’est à nouveau que financier, alors qu’il ne devrait pas être exclusif d’un accompagnement via en particulier la commande publique

Dans ce contexte, le plan de soutien aux entreprises innovantes, annoncées par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, et Cédric O, secrétaire d’État chargé du Numérique, annoncé le 5 juin dernier, aurait été l’occasion de réaffirmer l’intérêt de la commande publique dans le développement de ces entreprises et de prévoir des mesures en ce sens.
En vain...
En effet, seules ont été annoncées des « mesures conjoncturelles de soutien public sous forme d’investissements, de prêts et d’aides afin que ces entreprises puissent continuer à se lancer, croître et innover », c’est-à-dire des mesures exclusivement financières (création d’un fonds « French Tech Souveraineté », lancement d’une offre de prêts, extension du concours d’innovation i-Nov et augmentation de sa dotation, créations d’un fonds d’investissement French Tech Accélération n°2…).

C’est finalement une sorte de retour en arrière que l’on constate à la lecture des mesures prévues : l’accompagnement des entreprises innovantes n’est à nouveau que financier, alors qu’il ne devrait pas être exclusif d’un accompagnement en termes de développement économique et commercial, via en particulier la commande publique.

Dès lors, l’absence de toutes mesures – pourtant réclamées par certains acteurs majeurs de l’écosystème de l’innovation comme France Digitale (qui propose en substance l’insertion d’une clause startup dans les appels d’offres pour systématiser la collaborations grands groupes et des startups) ou le Syntec Numérique – favorisant l’accès des entreprises innovantes à la commande publique, apparait regrettable.

Si l’objectif demeure en effet celui d’accompagner le développement des entreprises innovantes tout en modernisant l’Administration, on ne peut que s’étonner de l’absence de mesures telles que, par exemple, la sensibilisation et la formation accrues de ces entreprises à la commande publique, via leurs structures d’accompagnement notamment (à l’instar de ce que peut faire l’UGAP au sein de Station F).Une telle mesure pourrait d’ailleurs s’adresser également aux acheteurs publics afin que l’innovation trouve enfin toute sa place dans les procédures d’achat, ce qui n’est – comme l’a relevé l’OECP – pas encore le cas.

En l’état, le plan de soutien aux entreprises innovantes conjugué à l’intérêt tout relatif rencontré par l’expérimentation achat innovant, laisse présager un recul dans la volonté de l’État (et in fine des acheteurs publics) de favoriser l’innovation dans la commande publique

  De même, il pourrait être envisagé une contribution financière de l’État aux collectivités territoriales pour l’acquisition de solutions innovantes, ce qui en outre aurait pour effet d’accélérer la formation des différents acteurs.
Plus généralement enfin, une mesure pourrait consister dans une segmentation plus fine des marchés, afin que de « petits » lots soient plus accessibles aux TPE et aux PME, à l’instar de ce que vient de mettre en place Toulouse Métropole.

On ne peut donc qu’espérer que, dans les jours à venir, le Gouvernement prendra des mesures de relance en ce sens. En l’état, le plan de soutien aux entreprises innovantes conjugué à l’intérêt tout relatif rencontré par l’expérimentation achat innovant, laisse présager un recul dans la volonté de l’État (et in fine des acheteurs publics) de favoriser l’innovation dans la commande publique.