
Risque pénal : une protection juridique à géométrie variable
Mis en cause devant le juge judiciaire pour un marché ? Votre administration doit vous apporter sa protection. Sauf s’il y a faute personnelle. Dans ce cas, l’employeur se fonde sur des éléments objectifs…et subjectifs.

En 1999, monsieur A…. passe des commandes sans publicité ni mise en concurrence ou même sans respect des règles liées aux seuils. Selon le Conseil d’Etat, « ces commandes ont été intentionnellement fractionnées pour contourner ces règles ». L’affaire concernait la réalisation d’études pour l’armée de terre. Pour l’une des études en question, d’un montant d’environ 15 000 euros, le responsable de l’une des deux sociétés mises en cause ne se souvenait plus et n’avait aucune trace de la facture. Pour une autre étude valant 45 000 euros, l’enquête a révélé qu’elle avait été « élaborée à partir d’un rapport remis par M. A… lui-même » avant d’être recomposée par l’entreprise… La sanction pénale est tombée le 13 décembre 2007 : prise illégale d’intérêts par chargé de mission de service public dans une affaire qu’il administre ou qu’il surveille, atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics. Quant à la sanction administrative, le militaire s’est vu refuser la protection fonctionnelle due à tout agent public. Le 23 décembre, le Conseil d’Etat a entériné la décision du ministère de la Défense (1). « Ces faits étaient, de part leur gravité eu égard tant au caractère organisé et répété des manquements constatés qu’aux responsabilités exercées par M. A, constitutifs d’une faute personnelle détachable du service », ont jugé les sages du Palais-Royal. La protection fonctionnelle (2) permet à un agent public d’être couvert pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions en cas de mise en cause devant la justice, mais aussi contre les menaces, injures, diffamation et outrage. L’administration dont dépend l’agent (à la date de la demande) doit prendre en charge les frais de procédures et les réparations civiles éventuellement prononcées à l’encontre de celui-ci.
Intérêt particulier
« Dès lors que l'existence d'une faute personnelle est écartée, l'administration est tenue d'assurer la protection de l'agent en cas de poursuites pénales consécutives à une faute de service (3). Une infraction pénale peut, en effet, être qualifiée de faute de service (4) », rappelle maître André Icard, avocat au barreau du Val de Marne. Pour rejeter la demande de protection d'un fonctionnaire qui fait l'objet de poursuites pénales, « l'administration doit exciper du caractère personnel de la ou des fautes qui ont conduit à l'engagement de la procédure pénale (5) ». L’agent commet une « faute personnelle quand il agit dans son intérêt particulier », résume maître Jacques Bazin, avocat au cabinet Molas et associés. En matière de marchés publics, il peut y avoir faute personnelle en cas de délit de favoritisme, de corruption passive et trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique, et de prise illégale d’intérêt. Il revient à l’administration d’apprécier la faute. Elle n’a pas à attendre que le juge judiciaire se prononce et n’est pas tenue par l’analyse de ce dernier. Elle se prononce au vu des éléments dont elle dispose à la date à laquelle elle se prononce (6). Cette protection est généralement demandée « au début de la procédure, lorsqu’il n’y a pas de jugement et que l’enquête est en cours », relève Me Bazin. L’administration peut réaliser une enquête administrative. Si elle se trompe, elle ne peut pas revenir en arrière, la décision d’accorder la protection étant créatrice de droit (7). « Par prudence, certaines collectivités accordent leur protection par étape », analyse Me Bazin : pendant l’enquête policière, jusqu’au jugement de 1ère instance, puis jusqu’à l’appel, etc.
Un contournement des règles qui n’est pas sans risque
Le contournement des règles de la commande publique conduit-elle à chaque fois à la qualification de faute personnelle et au refus d’accorder la protection fonctionnelle ? Non, répond Me Jacques Bazin. « Pour le délit de favoritisme, certaines collectivités accordent leur protection car elles assument : soit elles considèrent qu’il n’y pas de délit, soit elles veulent respecter la présomption d’innocence, soit que les faits litigieux ont été commis en pleine connaissance de cause avec l’aval de la hiérarchie par exemple dans un cas d’urgence ». Dans ce dernier cas, il peut s’agir d’un « risque pris par la collectivité. Il y a alors une instruction pénale mais pas de faute personnelle ». Un délit crapuleux où il y a un gain personnel serait ainsi à distinguer du délit de favoritisme qui couvrirait une simple situation d’urgence. La situation n’est pas sans risque. Me André Icard tient à rappeler que l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et l’article 40 du code de procédure pénale s’appliquent même dans ce cas où l’acheteur public « a agi sur ordre pour des motifs d’urgence bien souvent louables ». Selon ces dispositions, le fonctionnaire est responsable de ses actes et doit signaler tout délit découvert dans l’exercice de ses fonctions au procureur de la République. En outre, la décision de l’administration se fonde sur des éléments aussi objectifs (les éléments à sa disposition) que subjectifs. « Il y a le droit et il y a la vraie vie », admet Me Bazin. Bien des fois, « la décision se fonde sur la réputation de l’agent, sur le positionnement hiérarchique, la proximité avec l’élu qui prend la décision d’accorder la protection et qui souhaite soit se sauver lui ou au contraire soutenir son agent... C’est plus de la politique, il n’y a pas de règle. C’est un jeu d’interactions dans lequel tout compte ».
(1) CE 23 décembre 2009, M. A, n°308160
(2) Article 11 Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires
Pour les militaires : article L.4123-10 du code de la défense
Pour les maires et élus municipaux : article L2123-34 du CGCT
(3) CE 28 juin 1999, n°195348
(4) Tribunal des conflits, 14 janvier 1935, Thépaz
(5 & 6) CE 12 février 2003, n°238969 ; CE 10 février 2004, n°263664


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