Un avis au BOAMP peut-il être un acte décisoire faisant grief ?

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Un avis publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) peut-il être contesté devant le juge de l’excès de pouvoir ? Cette question prend toute son ampleur lorsque l’Etat envisage de passer une délégation de service public. En effet, les tiers ont la possibilité d’intenter une action en justice, à l’encontre d’une autorité locale, avant le lancement de la passation, en s’attaquant à la délibération autorisant ce choix de mode de gestion. Or, lorsque l’Etat est aux manettes, ils ne peuvent agir qu’après la conclusion du contrat.

Un avis publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics relatif à un appel d’offre pour une délégation d’un service public (DSP) est-il un acte décisoire pouvant être soumis devant le juge ? La réponse n’est pas évidente au vu du désaccord qui est ressorti, à l’occasion d’un contentieux, entre les juridictions du premier et du second degré. Les sages du Palais Royal ont dû prendre position. Derrière cette question d’apparence anodine, Gilles Pellissier, rapporteur public devant le Conseil d’Etat, a expliqué les tenants et les aboutissants qui s’y cachaient. La complexité est liée à l’auteur de la concession mise en cause, plus précisément aux règles qui lui sont applicables en la matière. En l’espèce, la direction générale de l’avion civile - relevant du ministère de la Transition écologique - a souhaité lancer une mise en concurrence pour la réalisation, le développement, le renouvellement, l’entretien, l’exploitation et la promotion des terrains, ouvrages, bâtiments, installations, matériels réseaux et services de l’aérodrome d’Aix-Les-Milles. Une association avait fait un recours pour excès de pouvoir (REP) dans le but d’annuler l’avis de publicité dont l’objectif final était de mettre un terme à la passation. Le tribunal administratif (TA) de Paris l’avait rejeté au motif que cet acte était une mesure préparatoire ne faisant pas grief. De son côté, la cour administrative d’appel de Paris (CAA), après avoir été saisie par l’association, avait pris le contrepied du jugement. Le ministère s’était alors pourvu en cassation.

Une décision sur le principe du recours à une DSP contestable lors d'un REP


Contrairement aux collectivités territoriales et à leurs groupements où les assemblées délibérantes doivent se prononcer sur le principe de toute DSP (article L. 1411-4 du code général des collectivités territoriales), l’Etat n’est pas soumis à cette contrainte. Cette différence a des conséquences majeures sur le terrain du contentieux, comme l’explique Gilles Pellissier. En effet, la délibération des autorités locales est attaquable par les tiers. De facto, ils ont la faculté de contester une opération, avant même le lancement de la passation, uniquement si une entité locale est aux manettes. La CAA, sans le mentionner dans son arrêt, a voulu compenser cette disparité. Elle a déclaré qu’ « en l’absence de toute décision autrement formalisée, l’avis publiée… doit être regardé comme révélant la décision de l’Etat de déléguer la gestion de l’aérodrome » ainsi « l’acte par lequel la puissance publique se prononce sur le principe d’une [DSP] présente le caractère d’une décision faisant grief ».

Quant au rapporteur public, il s’est d’abord penché sur les voies contentieuses admissibles contre une décision de ce type. Depuis l’arrêt Association fédérale d’action régionale pour l'environnement, un REP est autorisé (CE, 24 novembre 2010, n° 318342). Mais la décision Tarn-et-Garonne a bousculé les lignes (CE, 4 avril 2014, n°358994).

un recours de pleine juridiction ne peut être introduit

Néanmoins, Gilles Pellissier rappelle qu’un recours de pleine juridiction ne peut être introduit. En effet, lorsque l’acte est adopté, toutes les caractéristiques essentielles du contrat ne sont pas connues (comme les éléments financiers et l’identité du concessionnaire). D’autre part, « la notion d’acte préparatoire ne peut pas attraire des décisions administratives qui ont précédé la conclusion d'un contrat, mais qui n'ont pas eu cette seule fin tel que la délibération de principe d’une DSP ne constituant pas un acte préparatoire dont le contentieux pourrait basculer sur celui du contrat » déclare le maître des requêtes en faisant référence aux conclusions de son confrère Bertrand Dacosta lors de l’arrêt Tarn-et-Garonne.

Un avis au BOAMP est une mesure préparatoire


Ensuite, Gilles Pellissier ne voit aucun obstacle à opposer au raisonnement de la CAA. D’autant qu’il s’interroge même sur la justification de réserver un sort contentieux différent, pour les concessions étatiques, en fermant la voie du REP à l’encontre de l’avis d’appel à la concurrence. Toutefois, il constate que le Conseil d’Etat a toujours considéré, dans le cadre des marchés publics, ces avis comme des mesures préparatoires se bordant à manifester l’intention du pouvoir adjudicateur de passer un marché (CE, 10 mai 1996, Conseil régional ordre des architectes région PACA). La haute juridiction, dans le présent litige, a continué sur cette voie.

Un tel avis « ne saurait en soi constituer une décision sur le principe du recours à une telle délégation »

Un tel avis « ne saurait en soi constituer une décision sur le principe du recours à une telle délégation ». Il est « une simple mesure préparatoire ». L’arrêt de la CAA a été annulé. Conclusion ? Lorsque l’Etat a en charge un service public, il n’est donc pas possible pour un tiers d’intenter, à ce stade, une action en justice pour remettre en cause le choix du mode de gestion. Les sages du Palais Royal l’ont énoncé clairement, le recours devra être exercé contre le contrat, dans les conditions définies par la jurisprudence Tarn-et-Garonne.