
Jacques Chirac
Chaque mois, Me Nicolas Lafay fait bénéficier les lecteurs d'achatpublic.info de sa veille des jugements des tribunaux administratifs. Des décisions "de terrain" qui révèlent soit les faiblesses de notre droit de la commande publique ; soit la fertile imagination des acheteurs... voire, parfois, l’inventivité des juges du fond, confrontés à l’urgence en matière de référés. Un bon indicateur, donc.
Urgence ? Inventivité ? Mais oui ! Nous sommes en pleine "commande publique covid-19" ! Celle au nom de laquelle Alain Griset, Ministre délégué chargé des Petites et moyennes entreprises, vous appelle, « en dépassant nos rigidités, (à) une forme de transgression dans l’action publique telle qu’elle était conduite jusqu’ici (…) Ainsi j’invite chacun à être acteur de cette transgression raisonnée» (relire "Confusion à tous les étages et choucroute pour tous").
Dépassé ou détendu ?
L’un est inquiet, probablement épuisé. Il se dit quelque peu dépassé par l'emballement juridique. L’autre, plus détendu, le rassure. Il lui recommande de toujours s’en tenir au respect des lois fondamentales de la commande publique. Il conclut : « ce qui est sûr, c’est qu’il faut être au maximum facilitateur et répondre aux demandes de nos élus et habitants. Cela ne veut pas dire agir sans réfléchir, mais bien connaître les limites à ne pas franchir. L’acheteur doit être agile... mais pas casse-cou. »
Agile ou casse-cou ?
Le juge enjoint même la ville de Perpignan à réexaminer les candidatures du marché litigieux en en réintégrant celle d’un organisme, qu’il estime "digne de confiance". En dépit d'une candidature incomplète car présentée sans document attestant qu’elle n’était dans aucun des cas d’interdiction de soumissionner. Pour le juge, la commune ne pouvait ignorer que le candidat, compte tenu de son statut (une association loi de 1901 qui gérait précédemment le service) n’entrait dans aucune des exclusions légales pour candidater. Selon Me Lafay, la décision est peut être louable sur un plan moral, « elle est éminemment critiquable sur le plan du droit ».
Alors, le tribunal administratif de Montpellier, agile ou casse-cou ?
Ce que dit le juge, parole d’évangile ?
- L’"inquiet" se dira peut-être : « mais alors, nous devons donc aussi anticiper l’appréciation du juge, en nous disant qu’éventuellement, il faudra reprendre une procédure parce que celui-ci a estimé que ce candidat pouvait s’abstenir de respecter les règles d’autorisation de soumissionner ?»
- Le "serein" lui répondra « ce qui compte, c’est tout simplement de s’en tenir au bon sens …».
- L’"inquiet" lui rétorquera : « Mais on ne cesse de nous dire qu’il faut aussi que nous soyons attentifs à l’exécution du marché, au-delà de sa passation. C’est quand même bien à nous de nous assurer le marché sera bien exécuté, non ? J’ai un collègue, à la ville de Somain, qui évalue la qualité des offres à l’aide de critères tournés vers les moyens du soumissionnaire, sa méthodologie et sa compréhension du projet... »
- Certes, lui répondra le "serein", « mais si tu lis bien l’article qu’achatpublic.info a publié sur cette affaire (lire "Pas d’offre au meilleur rapport qualité/prix avec des critères sur les moyens et la méthodologie ?"), tu verras que pas mal de spécialistes de l’achat considèrent qu’il est difficile pour un pouvoir adjudicateur de juger qu'une organisation serait meilleure qu’une autre ; et que l'’attribution d’une bonne note sur le critère méthodologie, même s’il est fortement pondéré, ne garantit pas une exécution sans accroc du marché…».
Plans sur la comète et divination
Mais point de plans sur la comète ! : la rédaction d'achatpublic.info examinera, dans tous ses aspects et conséquences, et avec vous, la loi en vigueur, une fois publiée... et qu'elle aura donc passé sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel. Mardi 3 novembre, il a été saisi. En matière de commande publique, les auteurs de la saisine redoutent les effets du desserement des seuils et une recrudescence de la corruption. L'article 131, considéré en outre comme un cavalier législatif, permet le recours au motif d'intérêt général pour passer des marchés sans appel d'offres ni publicité préalable....
"Arbitraire", selon les auteurs du recours.
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