L'achat public durable en mode ruissellement

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« Ils grognaient, et le suivaient toujours »
Auguste Rafflet

Il y a des schémas de travail à ne pas changer : quand une loi "Commande publique" est publiée, on la signale, on l’analyse, on la passe au crash test des acheteurs publics, pour ensuite l’analyser dans ses moindres détails et conséquences, au fur et à mesure de leur découverte. C’est ainsi que nous poursuivons cette semaine l’étude de la loi "Industrie verte".
 

Enfoncer les portes ouvertes

Nous avons relevé la surprenante faiblesse des dispositions "Commande publique" de la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte (relire "Loi "Industrie verte": les 5 nouvelles dispositions environnementales du Code de la commande publique").

Le crash test Acheteur public se révèle, sans surprise, plutôt négatif : « Plusieurs dispositions enfoncent des portes ouvertes ; d’autres concernent un public restreint » ; « Cette loi n’apporte rien à ce qui préoccupe les acheteurs » ; ou encore « elle ignore la réalité des acheteurs de terrains dans les petites entités ». Tous regrettent une loi plus symbolique qu’opérationnelle. Même si certains veulent y trouver une logique à long terme : « la loi sur l’industrialisation verte incite les collectivités ou toutes entités publiques à prendre en compte les enjeux environnementaux et à intégrer les critères de durabilité dans leurs décisions d’achat » (lire "Les acheteurs publics font grise mine à la loi Industrie verte").
 

Où sont les outils ?

Il fallait trouver des explications à cet état de fait, voire ce paradoxe. Depuis la loi "Climat et résilience", on nous martèle que la commande publique sera un levier essentiel du développement durable. Des explications, nous pensons en avoir dégagées quelques-unes, tenant d’une part au contexte politique et législatif et, d’autre part, au fait qu’en matière de développement durable, l’accent semble être mis dorénavant plus sur les prestataires et fournisseurs que sur les acheteurs publics (relire "Achat public durable : changement de destinataires ?").

Ce que révèle notre enquête auprès des acheteurs, c'est qu'ils sont toujours plus en attente d’outils. La loi "Industrie verte" leur permet à nouveau de râler, s’agissant notamment des nouveaux motifs d’exclusion : « A quand un registre national permettant de savoir d’un clic quelles sont les entreprises qui ont respecté (ou pas) leurs obligations ? » ; « Tant que nous n’avons pas un outil qui centralise les données relatives à ces exclusions, je pense que l’empilement législatif ou réglementaire est une tarte à la crème ! ». C’est dit !
 

« Ils râlent, mais ils suivent»

Mais les acheteurs publics sont bien les grognards du développement durable : « ils râlent, mais suivent ». Oui, ils en sont persuadés, c’est à eux de jouer (relire "[Interview] Philippe Mangeard : «La réduction des émissions de CO2 est dans la main des acheteurs»") et relire "[Interview] Yann Mazloum : « La décarbonation est devenue une des principales missions de la filière achats du groupe SNCF, au même titre que la performance économique»" ).
Ils vont donc se débrouiller sans ce législateur qui ne développe pas assez vite à leur goût l'arsenal "achat durable". Pour preuve, ils anticipent et sollicitent de plus en plus les entreprises.

Certains n’hésiteront pas à se saisir de cette nouvelle possibilité offerte par la loi. Désormais, un opérateur qui entre dans le champ de l’article L. 229-25 du Code de l’environnement peut être exclu d’une passation d’un contrat de la commande publique s’il manque à son obligation d'établir un bilan de ses émissions de gaz à effet de serre (BEGES). Natacha Tréhan, docteur en science de gestion et enseignante-chercheuse à l’Université Grenoble Alpes, explique que ce dispositif ne s’adresse en réalité pas aux acheteurs, mais aux entreprises : « cette loi serait plutôt un signal envoyé aux entreprises, de l’ordre : "si vous souhaitez continuer à faire du business avec les collectivités publiques, vous devez établir votre BEGES". Avec ce message sous-jacent : "Aujourd’hui, c’est une faculté pour un acheteur public de vous exclure ; demain, un tel manquement pourra être rédhibitoire "» (lire "Manquement aux obligations du BEGES : une exclusion de la commande publique controversée").
 

Message aux entreprises

Autre signe de cette « prise en main » sur le terrain de l’achat durable, la certification. Cette semaine, nous nous penchons sur la Direction de la Commande publique de la Métropole Aix Marseille Provence. Elle s’est engagée dans une démarche qualité d’amélioration continue de ses procédures et a obtenu la certification AFNOR ISO 9001 (lire "La Métropole Aix-Marseille certifiée ISO 9001 : «cela génère des automatismes ! »"). Olivier Rocchia l’assure, si l’objectif de la certification est de fluidifier la commande publique, elle constitue « un gage de sécurité pour l’institution et pour les services ; c’est aussi un gage de sécurité pour les entreprises, qui savent que la commande publique répond à une norme et que tous les process sont contrôlés ».

Comme l’écrivait aussi Sébastien Taupiac dans nos colonnes (relire "[Tribune] Sébastien Taupiac : «L’évaluation des fournisseurs est à un tournant historique »"), « La pression exercée par les textes contraint, incite, encourage ou valorise, selon la maturité des organisations publiques, à valoriser les engagements des entreprises en matière de RSE, QHSE ou encore de sécurisation de la donnée et protection de la vie privée. L’étape liée à l’exclusion des entreprises non vertueuses semble se dessiner à un horizon relativement proche ».

A nouveau, un message, une alerte, presque une menace aux entreprises : "maintenant, à vous de jouer !".
Et comme une tentative d'application à la commande publique de la "théorie du ruissellement"...