Intelligence artificielle, Innovation et Commande publique

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"Aussitôt qu'on nous montre quelque chose d'ancien dans une innovation, nous sommes apaisés"
Friedrich Nietzsche



« Bon sang, mais c’est bien sûr ! »
A achatpublic.info, on adore découvrir toutes les facettes d’une actualité achat public. Quand on la perçoit sous plusieurs angles, on en saisit les reliefs !
Un exemple récent : les enjeux de l’Intelligence Artificielle (IA) pour la commande publique. Lors des Journées Achat et Logistique (JAL) organisées par le Resah au beffroi de Montrouge, le 8 décembre, une conférence est organisée sur cette fameuse "IA".
 

Gestion du risque IA par et dans les achats publics

Avouons-le, jusqu’alors, nous percevions l’IA comme une avancée numérique, aussi impressionnante qu’inquiétante, dont il faudra mesurer et cadrer les implications dans le métier d’acheteur public, à l’instar de ses impacts en matière de création artistique ou d’information.
Mais Samira Boussetta, détaillant l’IA Act européen, ouvre une nouvelle fenêtre de compréhension : « L’idée générale, c’est d’aider les acheteurs à acquérir des solutions basées sur l’IA qui soient dignes de confiance, en proposant des points d’alerte sur des questions éthiques ou sur le respect de la propriété intellectuelle» (relire "[JAL 2023] L’Europe cherche à cadrer les solutions IA dans les marchés publics"). Selon l’intervenante, l’IA Act (adopté le lendemain) est construit selon une approche du risque, depuis une solution IA au risque "inacceptable" jusqu’à la solution "law risk" qui, elle, pourra être embarquée facilement dans la solution contractuelle envisagée.

L’IA Act serait donc un "socle garde-fou" de l’IA dans les marchés publics. « L’idée est de minimiser les risques pour l'acheteur public dont le contrat embarque une solution IA, en lui donnant les premiers éléments de sécurisation et de discussion avec les fournisseurs ». L’accord aura finalement été arraché, après trois jours de négociations intenses, entre les Etats membres et le Parlement européen. Le Parlement se méfiant des usages des algorithmes ; les Etats membres redoutant de leur côté qu'une régulation trop exigeante ne nuise à l'innovation...
 

L’Etat à la manœuvre

Lundi 11 décembre, à Toulouse, le président de la République française critique cet accord "IA Act," estimant que « ce n'est pas une bonne idée » que de vouloir « beaucoup plus réguler que les autres pays.» Autrement dit, trop d'encadrement européen favorisera le "moins-disant" et l'achat de solutions étrangères à l'Union européenne.
Surtout, il annonce pour 2024 une nouvelle réforme de l'achat public, visant à lui conférer une logique favorable à l'UE et à l'innovation : « On ne peut pas avoir un achat public qui, quand deux solutions sont en concurrence, pour des raisons simplement budgétaires, [choisisse] une solution non européenne face à une solution plus locale ou innovante d'un point de vue de recherche (...) Je demande que dans les projets de début d'année, le ministre [de l'Économie] porte une réforme structurante, pour que notre achat public ait deux tutelles, budgétaire et industrielle ».

L’innovation... c’est bien LE mantra du Gouvernement, qui y voit à la fois un moyen et un objectif … un soutien aux "start-up", dont beaucoup fleurissent sur les potentialités du numérique et de l’exploitation des données…
 

L’innovation en montée de puissance

Le décret marché innovant (décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018 portant diverses mesures relatives aux contrats de la commande publique) va bientôt fêter son 5e anniversaire.
Ce qui se dit généralement, c’est que le mécanisme, avec son seuil de 100 K, ne prend vraiment pas chez les acheteurs publics, ces derniers craignant de ne pas pouvoir justifier le recours à ce dispositif devant le juge: « qu’est-ce que l’innovation ? La solution du prestataire est-elle innovante ? » (relire "Le B.A -BA de l’achat – L'achat innovant" et "[SMCL 2023] Des indices pour déceler l’innovation").

Une inquiétude qui se comprend : la définition que donne le Code de la commande publique de l’innovation (CCP, art. L.2172-3, R. 2122-9-1 et R. 2124-3) est assez large et bien imprécise. Au point où, il y a quelques années, le Graal journaliste était de débusquer les marchés innovants (relire "[Interview] « Pourquoi et comment j’ai passé un marché Achat innovant").
 

En réalité, les acheteurs publics se lancent... et gagnent des Trophées !

Cette semaine, achat public.info se fait écho de ce mouvement. D’abord, sur le volet "Innovation" en montrant qu’innovation et Economie sociale et solidaire sont loin d’être incompatibles (lire "A Nantes, les acheteurs publics innovent en responsabilité"). Surtout, certains acheteurs publics se sont véritablement appropriés le décret "Marché innovant", montrant aussi que l’innovation ne limite pas uniquement à une nouveauté technologique et peut porter sur le produit, le processus, et être de différentes natures (lire "Marché « achat innovant » : un dispositif ouvert à toutes les innovations").

Ainsi, Bordeaux Métropole a déjà lancé une quarantaine de procédures… et a même obtenu un Trophée de la commande publique en 2022 à ce titre pour son projet d’achat de masques chirurgicaux de type IIR biosourcés et biodégradables (relire "[TCP 2022 - Les lauréats] De la R&D dans un « marché achat innovant » : une récompense pour Bordeaux Métropole"). Et puisque que l’on est sur les Lauréats des trophées de la commande publique, en 2022, a aussi été récompensée la plate-forme Commissariat Sud-Est pour l’achat expérimental de bornes de recharge écologiques de véhicules électriques (relire "[TCP 2022 - Les lauréats] « Un marché achat innovant » pour expérimenter une nouvelle borne de recharge de véhicules électriques").

En 2023 le ministère de l’Education s’est vu aussi attribué un prix pour un achat réalisé en mode innovant (lire "[TCP 2023 : les Lauréats] Le Ministère de l'Education nationale innove pour ses enseignants malvoyants"). Les services du ministère ont effectué un travail de vérification du caractère innovant du projet, et ont constaté que la réponse à apporter pouvait être à caractère innovant. « On a quand même bien cadré les choses, car ce sont des procédures qu’on utilise peu, il y a donc toujours une petite appréhension. Au final, on est à plus de 70 % des critères de la DAJ remplis ».
Et cette année encore, le "coup de cœur du jury "s’est porté sur la Direction Infrastructure de la Défense (DID) de Papeete qui a aussi passé un marché innovant pour préserver les coraux (relire "[TCP2023] Trophées de la commande publique 2023 : « Et les Lauréats sont… »"). Une initiative aussi vertueuse qu’étonnante, que nous détaillerons très prochainement dans nos colonnes.


Surmonter ses appréhensions et cadrer ses marchés, c’est le double défi… aussi bien s’agissant de la maîtrise de l’IA dans les marchés publics que dans l’innovation.