Capacités : la description d'un chantier ne suffit pas

partager :

Dans une ordonnance récente, le juge du référé précontractuel a estimé que si la preuve des capacités professionnelles, techniques et financières est libre, une simple description de précédents chantiers ne suffit pas. Il a également jugé qu’une entreprise ne pouvait pas être lésée par l’illégalité du RC (interdiction de présenter des sous-traitants) car elle n’avait à aucun moment eu l’intention de recourir à un tiers.

Prouver sa capacité professionnelle, technique et financière en décrivant seulement des chantiers réalisés sans autre élément de preuve ne suffit pas. Une société candidate à l’attribution d’un marché de travaux de déconstruction et désamiantage disposait de la qualification technique pour ce dernier domaine. En revanche, elle ne détenait pas la qualification Qualibat 1112 pour les travaux de démolition. Pour justifier sa capacités, elle a inclut dans son dossier de candidature des références consistant en la description de chantiers. Le pouvoir adjudicateur a rejeté son offre comme irrégulière, aucune qualification ou référence n’ayant été fournie et le juge du référé précontractuel a confirmé le caractère irrégulier de sa candidature. Dans une ordonnance rendue le 21 février, il a considéré que si la société ne disposait pas de la certification Qualibat, la liberté de preuve prévue à l’article 45 du CMP lui a permis d’inclure dans son dossier de candidature des références consistant en la description de chantiers. Pour autant, estime le magistrat, « de telles descriptions n’étaient cependant assorties d’aucun élément de preuve permettant d’apprécier la qualité des travaux réalisés ». « La simple description des travaux n’est pas suffisante aux yeux du magistrat. En revanche, il considère que l’article 45 du CMP laisse aux candidats une liberté dans la preuve de leurs capacités professionnelles, techniques et financières, relève maître Eric Lanzarone, avocat au barreau de Marseille. Dès lors, outre l’attestation de bonne fin de chantier, le candidat pourra par exemple produire à l’appui de sa candidature le procès-verbal de réception des travaux ou encore le décompte général et définitif ».

Une interdiction qui ne lèse pas la société

La société estime également que le RC est illégal car le pouvoir adjudicateur a interdit la prise en compte de la capacité d’un sous-traitant. Selon elle, cette interdiction d’acquérir la capacité technique par sous-traitance l’aurait privée de la possibilité de justifier de sa capacité à réaliser les travaux en litige. Dans son ordonnance, le juge considère qu’une « telle illégalité n’est susceptible d’entrainer l’annulation de la procédure de passation, que dans la mesure où la société justifie d’un intérêt lésé suffisamment vraisemblable ; que cette vraisemblance doit s’apprécier, en l’espèce, dans l’hypothèse où la capacité d’un sous-traitant aurait pu venir combler l’absence de capacité de la société ». Or, l'entreprise soutient qu’elle a la capacité technique suffisante pour réaliser les travaux de démolition. Pour le magistrat, elle n’a jamais envisagé de recourir à un sous-traitant. De plus, elle justifie avoir réalisé des chantiers de démolition sans recourir à aucune société de sous-traitance. « Dans ces circonstances, l’absence de l’interdiction de recourir à des sous-traitants pour justifier de la capacité technique n’est pas susceptible, en l’espèce, de permettre à la société de présenter une candidature régulière ; que son intérêt lésé en raison de l’illégalité du RC ne présente donc pas de caractère vraisemblable ».

Une solution qui divise

« Il est illégale d’interdire la sous-traitance. La sous-traitance est un droit. L’article 45.3 du CMP permet au candidat de se prévaloir des capacités d’un tiers opérateur », rappelle maître René-Pierre Clausade, avocat au barreau de Marseille. Son confère estime que le magistrat n’a pas apporté de réponse claire à la question de savoir s'il est possible d’interdire la sous-traitance.

Il est illégale d’interdire la sous-traitance

« On peut supposer que oui. Dans son ordonnance, le magistrat parle d’une " telle illégalité de RC " », relève Eric Lanzarone. Le CMP interdit la sous-traitance totale. Mais, il ressort de la jurisprudence de la CJUE qu’il est possible d’interdire la sous-traitance sur des parties essentielles du marché (CJUE, 18 mars 2004 ou encore CJUE, 10 octobre 2013) ». « Le juge va trop loin dans l’examen du préjudice. Il considère que l’entreprise requérante n’a pas été lésée car elle n’avait pas l’intention de répondre avec un tiers. Je ne vois pas comment le magistrat peut savoir que l’entreprise n’avait pas l’intention de recourir à un sous-traitant car le RC lui interdisait de le faire », relève maître Clausade. Eric Lanzarone considère que le juge sanctionne ici la mauvaise foi de l’entreprise. « Le message est donc clair, ces dernières doivent dorénavant faire leur, l’adage suivant " qui ne dit mot consent " . Toute la jurisprudence du Conseil d’Etat sur le référé plaide en ce sens. L’entreprise pouvait au demeurant très bien, pour démontrer sa capacité, se prévaloir de la capacité d’un tiers en dehors de tout lien juridique par une lettre d’intention, ce qu’elle n’a pas fait (la nouvelle directive différera sur ce point). En répondant seule à l’appel d’offres, l’entreprise a donc estimé qu’elle avait la capacité de réaliser la prestation. Elle ne peut pas, une fois son offre rejetée, dire que la procédure est irrégulière parce qu’elle n’a pas pu présenter de sous-traitant, estime l’avocat. Cette ordonnance montre que les entreprises ont tout intérêt à poser des questions en amont pendant la procédure sur les prétendues irrégularités du DCE et ne pas attendre le référé précontractuel pour le faire ». René-Pierre Clausade n’est pas d’accord avec cette analyse. « Les questions en cours de procédure ne peuvent pas régler toutes les illégalités ».