Pour acheter local, faites du marketing territorial

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Même si le localisme est prohibé par les textes, de plus en plus d’élus annoncent ouvertement vouloir donner une préférence aux entreprises de leur territoire. Pour les acheteurs, coincés entre le marteau et l’enclume, une solution respectueuse de la réglementation passe forcément par un effort de marketing en amont de la procédure, pour « vendre » sa consultation et inciter plus de fournisseurs de proximité à candidater.

De nombreux élus l’affirment désormais haut et fort : ils veulent ouvertement privilégier les entreprises des territoires dont ils ont la charge, et ce malgré les interdits posés par les textes. En juillet dernier, Laurent Wauquiez avait jeté un pavé dans la mare en annonçant la mise en place d’une « préférence locale » dans ses marchés de travaux, avec un objectif affiché de 90% d’attribution. Il était aussitôt suivi par Hervé Morin, président de la région Normandie, qui promettait lui aussi d’insérer des clauses pour « favoriser l’économie locale ».

La préférence régionale n'est plus un gros mot

En septembre, c’est au tour de son homologue de PACA, d’affirmer que la « préférence régionale »  n’était pas un « gros mot » : « je ne peux concevoir que la commande publique s’adresse à des entreprises extrarégionales ou étrangères, lorsque nous avons tant de talents ici, chez nous », défendait l’élu avant de promettre, sous peu, un Small Business Act à la mode provençale. Dans son programme présidentiel, Bruno Lemaire défend, lui aussi, la préférence locale, tout au moins pour les denrées alimentaires, pour lesquels il souhaite créer un seuil spécifique pour donner plus de souplesse aux acheteurs. On se demande quelle mouche les a piqués, d’autant que l’attribution de marchés aux entreprises du cru est une réalité,  quand bien même la préférence locale est interdit par les textes (et notamment l’article 18 des directives 2014). Elle s’explique pour des raisons pratiques : certaines entreprises n’iront jamais traverser tout le pays pour exécuter un contrat. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a lui-même admis qu’un chantier sur deux est attribué à une entreprise régionale. Il n’en reste pas moins que les acheteurs se retrouvent coincé d’une part entre les desiderata de leurs patrons, et d’autre part le respect des règles et de l’éthique professionnelle.

Allotir de façon futée

Il y a pourtant une solution, celle du marketing, thèse défendue par Christophe Loriau, chef du service de la commande publique de l’Indre-et-Loire, lors de la dernière conférence de l’Association des acheteurs publics (AAP). Plutôt que de se risquer à insérer des clauses ou des dispositifs préférentiels juridiquement hasardeux, il faut mieux essayer de construire une procédure capable d’attirer l’intérêt des entreprises du coin. Christophe Loriau a donné ses dix commandements en la matière. D’abord être parfaitement informé du potentiel économique du champ géographique concerné, en connaissant ses points forts et ses points faibles et la conjoncture. Deuzio, décortiquer la structure de l’offre, en identifiant la présence éventuelle de filières, et en se renseignant sur « la sociologie propre des tissus économiques locaux ».

On ne discute jamais assez avec les entreprises et on raisonne toujours trop en hors sol

« Les entreprises sont-elles capables de travailler ensemble ou sont-elles plutôt individualistes ? » illustre le praticien. De quoi « allotir de façon futée en collant au plus près de la réalité du terrain », poursuit-il. Ensuite ne pas réclamer la lune, autrement dit éviter la surqualité. Il s’agit de se mettre à la portée des opérateurs et de l’état de l’art, « sans se faire dicter la rédaction du besoin ». L’acheteur doit aussi, avant de lancer sa procédure, se renseigner sur le plan des charges des fournisseurs potentiels. « On ne discute jamais assez avec les entreprises et on raisonne toujours trop en hors sol », prévient Christophe Loriau qui insiste sur la nécessité de fournir de la visibilité sur la programmation des achats, ce qui donne le temps aux fournisseurs de se préparer. La simplification « de façon raisonnée » et la demande de « capacités raisonnables » sont deux autres facteurs susceptibles d’améliorer l’attractivité locale d’un appel d’offres.

Vendre son appel d’offres

Le chef de la commande publique de l’Indre-et-Loire croit aux effets bénéfiques d’une « vraie stratégie de publicité ». Sa collectivité a, par exemple, réalisé une étude auprès des entreprises pour en savoir un peu plus sur les supports qu’elles utilisaient. Etre proactif, c’est aussi pousser les entreprises à s’inscrire sur son profil d’acheteur, leur fournir des conseils, toujours en amont, pour optimiser les dossiers de candidature. Bref, il faut vendre sa consultation. « Il faut être vu, repéré, avoir un appel d’offres attendu et séduisant. » Même s’il est interdit d’écarter une entreprise en raison de l’absence d’implantation locale, l’acheteur peut toutefois réfléchir à certains critères d’exécution particuliers, qu’il s’agisse des conditions de production, de la protection de l’environnement, des délais d’intervention rapides « si c’est justifié », les conditions de livraison, le service après-vente, la sécurité des approvisionnements, etc.

Tout se joue en amont. Ensuite ce sont les règles de la mise en concurrence qui font leur office

« Ce sont des pistes pour mettre les entreprises locales dans les meilleures conditions possibles pour déposer une offre », insiste Christophe Loriau. Il faut faire évidemment attention de ne pas jouer avec le feu. En 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation a condamné un élu à 2000 euros d’amende pour avoir bidouillé un marché en cherchant à privilégier un imprimeur local (lire notre article en lien). Plus récemment, le président du service départemental d’incendie et de secours de la Somme a fait l’objet d’une information judiciaire pour favoritisme, a priori parce qu’il aurait déclaré préférer les entreprises et architectes locaux durant une CAO d’un marché de construction d’une caserne (lire en lien l’article du Courrier Picard). Avec l’avènement de l’open data, associations, citoyens et lanceurs d’alerte vont scruter les données et les méthodes d’achat, prévient l’acheteur. « Tout se joue en amont. Ensuite ce sont les règles de la mise en concurrence qui font leur office », conclut  le chef de la commande publique de l’Indre-et-Loire.