Le droit d'exploitation commerciale des sucettes publicitaires

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Une commune membre d’une intercommunalité dispose-t-elle toujours du droit d’exploiter commercialement les sucettes publicitaires et, de facto, concéder ce droit à un cocontractant ? Un tiers a soulevé, à l'occasion d'un contentieux, l'incompétence de la ville d’Eysines à conclure un contrat d'installation et d'entretien du mobilier urbain car les compétences en matière de voirie avaient été transférées à la communauté urbaine. La municipalité ne pouvait de surcroît autoriser le prestataire à installer ces biens sur le domaine public routier.

Le contrat d’exploitation des "sucettes publicitaires" de la ville d’Eysines a été contesté, sous prétexte que la commune était incompétente pour le signer, en raison du transfert du domaine de la voirie à la communauté urbaine de Bordeaux conformément à l’article L.5215-20-1 du code général des collectivités territoriales. Le contrat litigieux avait pour objet la mise à disposition, l’installation, l’entretien et la maintenance de mobiliers urbains sur le territoire de l’acheteur. L’objectif était de communiquer l’information municipale par voie d’affichage. En échange de la prestation, le cocontractant était rémunéré uniquement grâce aux redevances issues de la location des espaces publicitaires. D’après la société requérante, la commune ne détenait pas le droit d’exploiter commercialement ces biens, en vertu de la disposition précitée, et par conséquent ne pouvait le concéder au titulaire. Pour étayer son propos, elle a souligné que la commune n’était pas légalement en capacité de donner une autorisation au prestataire à occuper le domaine public car elle n’en était pas (ou plus) propriétaire. En effet, le marché prévoyait expressément qu’un tel acte devait être délivré par la communauté urbaine avant toute installation. « La compétence en matière d’affichage, selon la demanderesse, suit celle en matière de voirie ». La convention serait alors dépourvue de cause, a sous-entendu celle-ci. L’argumentation n’a pas laissé insensible la cour administrative d’appel (CAA) qui a annulé la convention. La municipalité s’est donc pourvue en cassation.

Le régime des "sucettes publicitaires" n’est pas lié à celui de la concession de l’affichage

  
Depuis l’arrêt SOMUPI (CE, 5 février 2018, n°s 416579, 416585,…), ce dispositif contractuel est qualifié de concession. Toutefois, la question de la nature juridique de ce concept importe peu pour résoudre le présent litige, a avancé le rapporteur public.

Depuis l’arrêt SOMUPI (CE, 5 février 2018, n°s 416579, 416585,…), ce dispositif contractuel est qualifié de concession

Gilles Pellissier a commencé, dans ses conclusions, par évoquer le constat suivant : les contrats de mobilier urbain doivent être exécutés pour la plupart sur la voirie publique. Le raisonnement des magistrats bordelais s’est inscrit dans la logique de celui dégagé par le Conseil d'Etat pour la concession de l’affichage. Dans sa jurisprudence Ville de Bordeaux (CE, 7 janvier 1987, n°26979), il avait déclaré à ce sujet, à propos de l’établissement de palissade pour la clôture de chantier : « il n’appartient qu’à l’autorité chargée de la gestion du domaine public [de les] autoriser [...] sur la voie publique […] que cette faculté comporte celle de concéder l'affichage sur ces emplacements à une entreprise d’affichage ». « Or, le contrat de mobilier urbain n’est pas un contrat d’affichage alors même que les supports doivent, pour se faire, être autorisés par la personne publique responsable du domaine », a lancé le rapporteur public.

Exclusion des "sucettes publicitaires" du domaine public routier


Le maître des requêtes a poursuivi son cheminement : « Le mobilier urbain ne fait pas partie du domaine public [de la voirie], ni du fait de leur implantation sur celui-ci, ni en raison de leur finalité […]. Il semble le plus souvent, comme en l’espèce, la propriété de la société ».

Le gestionnaire du domaine public « n’était compétent ni pour prendre la décision de recourir à ce mode d’affichage, ni pour l’exploiter »

Le rapporteur public n’a pas lié mais plutôt distingué la compétence domaniale (matérialisée par le pouvoir d’autoriser l’occupation) et celle d’exploiter commercialement les "sucettes publicitaires". Il a été suivi par les sages du Palais Royal. Primo, le gestionnaire du domaine public « n’était compétent ni pour prendre la décision de recourir à ce mode d’affichage, ni pour l’exploiter », ont reconnu ces derniers. Deuzio, la convention répondait aux besoins de la commune. Enfin, au vu de la contrepartie envisagée, le contrat n’était pas une convention domaniale. Dans l’hypothèse où le titulaire n’obtiendrait pas l’autorisation de l’établissement public, au-delà de ne pas bénéficier des recettes publicitaires, il ne supporterait aucun frais correspondant à l’installation et à l’entretien de ce mobilier, a rappelé Gilles Pellissier.    

Les "sucettes publicitaires" ne sont pas indispensables à l’exécution du service public


De surcroît, le Conseil d'Etat avait déjà dissocié, dans le cadre d’abribus, la gestion des transports urbains et leurs équipements afin de définir l'autorité locale en charge de ses services : « Les horaires de circulation des véhicules relèvent de la compétence obligatoire et de plein droit de la communauté d’agglomération au titre de sa compétence d’organisation des transports urbains, [mais] une telle compétence ne s'étend pas à la réalisation et à l'entretien des éléments de mobilier urbain que constituent les abribus, lesquels ne sont pas des équipements indispensables à l’exécution du service public » (CE, 8 octobre 2012, communauté d’agglomération d'Annecy, n° 344742). Gilles Pellissier a ainsi conclu : « l’erreur de droit commise par la cour est d’avoir considéré que le droit d’exploiter commercialement le mobilier urbain était un droit d’exploiter le domaine publique alors que c’était un droit d’exploiter le support d’un service qui relève de la compétence de la communauté urbaine». L’affaire a été renvoyée à la CAA.