[TCP 2023 : les Lauréats] Un « Coup de cœur » pour l'Armée à Papeete

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Pas étonnant que le jury de l’édition 2023 des Trophées de la Commande Publique ait eu un coup de cœur pour l’opération réalisée par la Direction Infrastructure Défense de Papeete ! Alors que la tour en aluminium qui devrait être montée à Teahupoo pour l’épreuve de surf des JO Paris 2024 suscite une véritable levée de boucliers, y compris de la part des surfeurs, face aux dégâts irrémédiables qu’elle va causer aux massifs coralliens, la Marine nationale, elle, a travaillé tout à la fois sur les aspects environnementaux et sociaux.


Nous avons rencontré Stéphane Charlon, ingénieur militaire de l’infrastructure, chef de la Division achats, infrastructure et aide à l’activité de la Direction Infrastructure Défense de Papeete.

 

Pour la réalisation de ce chantier vos contraintes semblaient énormes, pourtant votre opération est exemplaire et peut être dupliquée dans tous les départements et territoires d’outre-mer. En quoi votre projet peut-il être qualifié d’exemplaire ?

Stéphane Charlon - Tout d’abord, je tiens à préciser que je n’ai pas personnellement participé à l’élaboration du projet car je n’ai rejoint Tahiti qu’en juillet dernier. Je n’ai eu en charge que l’inscription et la présentation du dossier aux Trophées de la Commande Publique. L’accueil des nouveaux patrouilleurs outre-mer à Tahiti nécessitait l’aménagement portuaire de la base navale afin de permettre l’accostage, le stationnement et le soutien des navires dans le respect des normes et règlements en vigueur. L’opération infrastructure a porté sur la préparation du fond marin au droit de la construction pour augmenter le tirant d’eau, la construction d’un quai circulable, l’aménagement du quai, l’équipement en postes de livraison des fluides et leurs réseaux.

L’étude environnementale amont a mis en avant le caractère exceptionnel des massifs coralliens présents sur l’emprise : il a été décidé de préserver un maximum de coraux en procédant à une opération originale d’enlèvements, de transplantation et de colonisation de secteurs dépourvus

L’étude environnementale amont a mis en avant le caractère exceptionnel des massifs coralliens présents sur l’emprise. Répondant aux objectifs opérationnels d’augmenter les tirants d’eau, en accord avec l’administration locale, il a été décidé de préserver un maximum de coraux en procédant à une opération originale d’enlèvements, de transplantation et de colonisation de secteurs dépourvus.
Au-delà des retombées manifestes pour la biodiversité, cette opération a eu un impact social auprès de jeunes en difficultés scolaires du Centre de Jeunes Adolescents (CJA) de Faa’a qui se sont chargés de la fabrication des supports métalliques destinés à recevoir les coraux.
Avec un excellent bilan un mois après la transplantation, ce projet, assez inhabituel et porteur de valeurs fortes pour les armées dans son implication à la conservation du patrimoine écologique de la Polynésie française, a suscité un grand intérêt médiatique avec une large couverture locale et institutionnelle.

 

Qui a eu l’idée de procéder à la protection et à la transplantation des coraux ?

Stéphane Charlon - Le projet prévoyait initialement un dragage important du bassin portuaire de la base navale dont les études en phase amont ont fait apparaître une problématique importante liée aux volumes de roches, sédiments, coraux à extraire avec l’obligation d’évacuation de ces déchets vers la Nouvelle Zélande, ainsi que la nécessité de mise en œuvre d’une procédure d’ICPE (Installations Classées Protection de l’Environnement). Cette solution remettait en cause le calendrier et la programmation opérationnelle d’arrivée des nouveaux patrouilleurs d’outre-mer. Ainsi, la conduite d’opération a dû opter pour d’autres solutions permettant de gagner en tirant d’eau tout en limitant les travaux.
La réflexion de la conduite d’opération de la Division Projet (DIV PROJ) avec Créocéan ainsi menée a abouti à la solution retenue d’enlèvement et de transplantation des coraux, qui a été validée par la maîtrise d’ouvrage du Service d’Infrastructure de la Défense (SID). L’opération a été une vraie réussite “technico-opérationnelle, environnementale”. Outre les objectifs atteints de gagner du tirant d’eau, de sécuriser l’emprise contre les obstacles représentés par les coraux in situ, la transplantation/colonisation a préservé de nombreux coraux remarquables. Les structures servent de nurseries à de nombreuses familles de poissons “demoiselles, coffres, chirurgiens…” Par ailleurs, les tissus coralliens se développent avec une forte croissance de polypes terminaux.

 

Pour quelles raisons avoir  décidé de faire intervenir les jeunes en difficulté scolaire?

Stéphane Charlon - La politique Achat du ministère comporte six objectifs :
  • la performance économique ;
  • les achats socialement responsables ; 
  • les achats favorisant la préservation de l’environnement ;
  • l’accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique ;
  • les achats ayant un caractère innovant ;
  • les achats propres de nature à assurer la réponse rapide nécessaire à des besoins opérationnels.
Ainsi, chaque projet infrastructure au sein du SID (Service d’Infrastructure de la Défense) fait l’objet d’attention au travers d’analyse en phase précontractuelle pour trouver les leviers répondant à cette volonté d’une démarche de contractualisation socio-responsable.

Chaque projet infrastructure au sein du SID (Service d’Infrastructure de la Défense) fait l’objet d’attention au travers d’analyse en phase précontractuelle pour trouver les leviers répondant à cette volonté d’une démarche de contractualisation socio-responsable


Au titre du dialogue avec Créocéan, une entreprise spécialisée dans le diagnostic de conservation et la préservation de l’environnement lors de la mise en place de projets industriels, ce dernier avait déjà fait appel aux services du Centre de Jeunes Adolescents de Faa’a pour la fabrication des supports métalliques destinés à recevoir les coraux. La Maîtrise d’ouvrage a adhéré à la proposition de Créocéan de reconduire l’expérience avec ces jeunes de Faa’a. Les délais non contraints de l’opération permettaient de faire le choix de ce procédé.


Quelle procédure avez-vous utilisée ?


Stéphane Charlon - Nous nous sommes appuyés sur l’article142 de la loi ASAP relevant le seuil jusqu’à 100 000 HT pour passer un marché travaux sans publicité ni mise en concurrence, au lieu de 40 000 € HT (CCOP, art R. 2123-8) ; de la sorte, la contractualisation d’un MAPA négocié sans publicité ni mise en concurrence avec l’entreprise Créocéan a été retenue. En effet, référente par son expertise technique et son dynamisme liés à la protection de la biodiversité sous -marine à Tahiti, elle était l’opérateur économique immédiatement performant pour l’opération.


Quels ont été les délais nécessaires entre la prise de décision et la demande de subvention ?

Stéphane Charlon - Les délais de réflexion, de décision et de constitution du dossier FIE (Fonds d’intervention pour l’environnement) ont duré environ neuf mois jusqu’à la demande de subvention qui nous a été accordée à hauteur de 56 803,33 € TTC. Le choix des opérations FIE par la DTIE (Direction des territoires, de l’immobilier et de l’environnement) du ministère de laDéfense a été acté en décembre 2021.
Initialement prévue en octobre 2022, la date du début d’exécution a dû être reportée de six mois en raison d’une validation administrative tardive du Port Autonome de Papeete ne permettant plus de pratiquer la transplantation avant avril 2023, en raison de la saison de ponte.