Achat responsable : " il y a du rabe ? "

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"L'action guérit cette sorte d'humeur, que nous appelons, selon les cas, impatience, timidité ou peur"
Alain - Les Aventures du cœur 



Présentation en visio du 13e Baromètre de l’achat responsable, ce 8 février. Une question est posée aux intervenants : « Mais, le PNAD, c’est pour quand ? ». Grand silence parmi les intervenants. Puis une relance : « Qui veut répondre ? » La relance exacte aurait dû être "qui peut répondre ? "... « C’est pour bientôt ». « Ce que je sais, c’est que c’est dans les tuyaux» ; « C'est dans le circuit de relecture ».

Le PNAD se fait désirer ...

C’est vrai que le plan national des achats durables pour 2021-2025 se fait attendre. Pour mémoire, il devra présenter 24 "actions" (« avec des pilotes clairement identifiés ») regroupées en 3 objectifs :
  • éclairer les enjeux ;
  • aider les acheteurs à s’emparer des objectifs du PNAD ;
  • suivre, actualiser et promouvoir le plan.
On en parle beaucoup, du PNAD, mentionné çà et là dans la présentation de plusieurs éléments de soutien à la construction de la politique d’achat durable en France (relire "Innovation et transition écologique : un annuaire à disposition des acheteurs publics" et "Faut-il étendre l’obligation d’établir un SPASER ? On verra avec le PNADD !").
Il suscite des impatiences, le PNAD (relire "Plan national pour des achats durables (PNAD) 2021-2025: la consultation est ouverte !"). Certaines associations comptent dessus. Voire, en espèrent beaucoup (relire "PNAD : les propositions de Coorace") : « il est toutefois indispensable que des moyens de mise en œuvre soient prévus au Plan national pour des achats durables, avec un budget suffisamment conséquent pour notamment accompagner la formation de toute la chaîne de l’achat public à ces évolutions et le renforcement des moyens du côté de l’Etat pour faciliter le déploiement des clauses sociales » (relire aussi "Clauses sociales : « Un tournant dans le droit de la commande publique»").

Starter grippé ou patinage en règle ?

La question est donc de savoir pourquoi il se laisse ainsi tant désirer, le PNAD.
Difficile d’entrer avec certitude dans les arcanes du mécanisme de fabrication des normes et autres documents officiels. La période est électorale ; la mise en valeur du PNAD est assurément un élément de communication "porteur", qu'il faudra savoir mettre en valeur... au bon moment.
Autre explication, la recherche de la cohérence : ce serait bien d'attendre la publication du décret d'application du décret commande publique de la loi "Climat et résilience" (relire "Découvrez le projet de décret d’application de la loi «Climat et résilience »" et "Projet de décret d'application de la loi "Climat et résilience" : les questions de France Urbaine" ).

Forcément, sur un texte de cet importance, il peut y avoir du grippage. Le passage du projet de décret devant le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) n'a pas été commode pour la DAJ, semble-t-il. La séance du 3 février a été suspendue pour demande de complément d'informations . Ce qui, en l'état, peut laisser présager des réserves, si ce n'est un avis défavorable.
Et mieux vaut ne pas agacer le CNEN en ce moment ! Notamment en matière environnementale. Sur les réseaux sociaux, Alain Lambert, Président du CNEN, se fend d’un post rageur "Halte au réchauffement normatif" : « Séance du Conseil national d'évaluation des normes ce lundi matin pour examiner un texte [projet de décret relatif aux zones de protection forte (ZPF), en application de la loi "Climat et résilience"] dont il a été saisi vendredi en extrême urgence, l’obligeant à rendre un avis en 72 heures, alors qu’un report avait été prononcé jeudi, à raison des difficultés posées. » (…) En confondant vitesse et précipitation, le Ministère de l’Ecologie réussit le tour de force, à la fois, de bafouer l’intention du Parlement et de bâillonner les collectivités locales. Pour imposer au final un texte médiocre qui défie le principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. » 

Accélération du tempo "achat durable"

Faut-il reprocher au Gouvernement de vouloir avancer rapidement sur le projet de décret (qui devra aussi passer devant le Conseil d’Etat) ? Certainement oui, compte tenu des changements dans la pratique quotidienne de l’achat public responsable qu'il emportera. D'autant plus que sur le terrain, le tempo s’accélère...
La 13e édition de l’Observatoire de l’achat responsable montre que l’achat durable est désormais ancré dans la pratique (lire "Achat responsable : l’Obsar optimiste !") : « 9 organisations sur 10 sont engagées ou sur le point de s’engager dans une démarche achats responsables » ; « La norme ISO 20400 remplit sa fonction de guide de recommandations » (relire aussi "La stratégie achats responsables doit être alignée avec la stratégie globale de l’organisation").
 

Rançon du succès

En résumé, l’Obsar constate l’impact positif des nouvelles réglementations sur les pratiques d’achat responsable. Les objectifs sont désormais identifiés, et de moins en moins perçus comme "contradictoires". Mais l’enquête révèle que mener une politique d’achat public durable, c’est aussi vécu comme un investissement lourd : manque de temps et d’expertise et la difficulté à mesurer l’apport de la performance via les achats responsables sont pointés. Selon Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises, « c’est la rançon du succès ! La sensibilisation l’achat responsable est faite et la réglementation est là ; cependant, il faut du temps, de la ressource et de l’expertise pour la mettre en œuvre ».

C’est peut être une autre explication du "besoin de PNAD" : le Gouvernement pousse à l’achat responsable ; met en place un cadre normatif ; assure une communication intense… et cela marche ! Le message est reçu 5/5 par les acheteurs publics qui se lancent (relire "[Interview] Achat durable : « Face aux enjeux, les agents font preuve d’imagination »" -"Le Resah se penche sur l’achat responsable" - "Achats responsables : La France sur le podium" - "L’ADEME généralise la clause d’insertion" et "Clauses vertes dans la commande publique : "Les acheteurs ne seront pas seuls dans ce défi"").
Vous avez dit "achat durable" ? : oui, les acheteurs sont, en effet prêts (relire " [Interview] Olivia Grégoire : " L'ambition est forte, mais les acheteurs publics sont prêts").

"Sur le terrain", ça bouge déjà ! 

Sur le terrain, l’hypothèse selon laquelle les services achats ont pris le mord aux dents se vérifie. Cette semaine, nous sommes rendus dans l’Hérault, où la Mission Interinstitutionnelle Clause Sociale 34 crée les conditions d'une synergie permettant la progression des clauses sociales dans les marchés publics (relire "La mission interinstitutionnelle Clause Sociale 34, courroie de transmission des clauses sociales dans l'Hérault"). Avec une vision "expansionniste" la clause sociale : « Il faut sortir des représentations avec des clauses sociales qui ne seraient cantonnées que dans le secteur du BTP et des espaces verts ou dans des métiers où les femmes sont peu présentes »
Et puis, nous sommes nous promenés à Nice, "soucieuse de dynamisme" (private joke): au cours de l’année, les acheteurs vont faire face à une demande croissante de la part des services, alors que, dans le même temps, les impératifs liés au développement durable se font plus prégnants. C’est pour accompagner ses acheteurs que la métropole Nice Côte d’Azur a lancé à la fin de l’année dernière un Guide d’achat public durable du bois (lire "Nice édite son guide de l’achat public durable du bois"). Avec ce guide, « Les acheteurs disposent d’exemples pour l’intégration du bois dans la commande publique depuis la définition du besoin jusqu’à l’exécution du marché, ainsi que d’exemples pour favoriser le recours au bois local».

La loi de l'offre et de la demande

L’Ugap aussi s’y met de façon assez directe, en créant une "offre climat" pour ses adhérents : « Ce nouvel espace a pour vocation de simplifier et faciliter leurs choix d’achat vers un achat public responsable » (lire "Achat durable : l’UGAP propose une sélection de produits et services « climat »").

Alors, oui, il est possible qu’en matière d’achat durable, le droit enregistre, une nouvelle fois, un retard sur la pratique. En créant le besoin (car on en est plus, donc, à la "contrainte environnementale") mais sans encore assurer une offre finalisée, le Gouvernement crée la demande...
Mais là, c’est sans doute une bonne nouvelle…