[Interview] Olivia Grégoire : " L'ambition est forte, mais les acheteurs publics sont prêts"

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Olivia Grégoire répond aux questions d’achatpublic.info, après l’adoption de la loi Climat et Résilience. L’occasion de faire un point sur ce texte, et sur son obligation de prévoir un critère environnemental. Mais aussi d'interroger la secrétaire d’État chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable sur les conséquences sur l’achat public des objectifs de relocalisation d’activités stratégiques et de défense des principes républicains.


Avec l’adoption de la loi "Climat et Résilience", le 20 juillet 2021 (NB : le  Conseil constitutionnel a été saisi du texte le 27 juillet 2021 par plus de soixante députés, en application de l'article 61 alinéa 2 de la Constitution), le code de la commande publique est une nouvelle fois modifié, quelques mois après la loi ASAP. Le nouvel article L. 2152‑7 du code précise que l’un des critères d’attribution doit prendre en compte les caractéristiques environnementales de l’offre. Autrement dit, les pouvoirs adjudicateurs sont tenus dorénavant d’insérer obligatoirement un critère environnemental pour départager les offres. Une telle contrainte n’a pas laissé indifférent la communauté des acheteurs publics lorsqu’elle a été annoncée dans le projet de loi.
Par ailleurs, le projet de loi confortant les principes républicains, qui poursuit son parcours législatif, prévoit que l'acheteur public devra être en mesure de contrôler que les salariés des prestataires intervenant dans le cadre de l'exécution du contrat (marché ou concession) respecte les principes de laïcité.

La Secrétaire d’État chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable, Olivia Grégoire, répond à achatpublic.info sur la portée et la mise en oeuvre des nouvelles évolutions de la commande publique.
 

Un critère environnemental, selon l’objet du marché, pourrait ne pas être opportun. Des dérogations seront-elles prévues, notamment par décret ? 

Le législateur a choisi de ne pas énumérer les conditions environnementales possibles, afin de laisser de la souplesse aux acheteurs et autorités concédantes

Olivia Grégoire – La loi Climat et Résilience prévoit l’intégration d’un critère environnemental dans la commande publique : la Convention citoyenne proposait que cette disposition s’applique à tous les marchés publics d’ici dix ans.
Grâce au travail des parlementaires et du Gouvernement, nous avons désormais un critère environnemental lors de la passation et l’exécution de tous les marchés et dans toutes les concessions, dans un délai maximal de cinq ans. Si l’ambition commune est si forte c’est bien parce que l’ensemble des parties prenantes y sont prêtes. D’ailleurs, un grand nombre d’acheteurs prévoient déjà des clauses environnementales, au même titre que les entreprises savent déjà l’intégrer.

Nous gagnerons tous à penser la commande publique en y intégrant automatiquement une clause environnementale, y compris dans les marchés de prestation intellectuelle, plutôt qu’en raisonnant par dérogation et exception. Alors non, un décret n’est pas prévu pour restreindre le champ de cette ambition. Toutefois, le législateur a souhaité une application de cette obligation qui puisse être adaptée aux spécificités de chaque catégorie de fournitures, services ou travaux. Cela se traduit par le choix de ne pas énumérer les conditions environnementales possibles ou non afin de laisser de la souplesse aux acheteurs et autorités concédantes.
 

La « loi Climat et résilience » repousse au plus tard à janvier 2025 la mise à disposition d’outils, afin d’aider les acheteurs publics notamment dans le calcul du coût global. Pourquoi ce délai est-il aussi long alors que la loi va s’appliquer d’ici peu ?

Olivia Grégoire – Le coût du cycle de vie est probablement une des techniques d’achat les plus prometteuses pour l’achat public durable. Elle induit véritablement une approche globale de l’achat, via la prise en compte des externalités les plus importantes à la fois sur le plan économique et sur le plan environnemental. Nous prévoyons une entrée en vigueur des dispositions prévues à l’article 15 de la loi au plus tard dans cinq ans. C’est un choix du législateur dès le projet de loi initial, alors que la volonté de la Convention citoyenne était d’appliquer cette mesure d’ici dix ans.

Le 1er janvier 2025 est une date maximale raisonnable pour permettre une mise en œuvre cohérente avec les besoins et savoir-faire des acheteurs

Ce n’est pas parce que le délai maximal est prévu d’ici cinq ans que rien n’est possible avant : au contraire, nous souhaitons un effet d’entraînement progressif durant ces cinq années. Il n’apparaît donc pas démesuré dans ce contexte de prévoir des outils sur le coût du cycle de vie d’ici le 1er janvier 2025 : c’est une durée maximale raisonnable pour permettre une mise en œuvre cohérente avec les besoins et savoir-faire des acheteurs.

Rien n’empêche d’ici là de prévoir ces outils. Le nouveau plan national pour des achats durables (PNAD) prévoit des actions pour une prise en compte adaptée du cycle de vie des produits et services via, par exemple, le développement d’outils appropriés qui pourront être partagés via la plateforme Rapidd (Réseau des administrations publiques intégrant le développement durable), ou la mise en place d’un groupe de travail « approche en cycle de vie des produits et services ». Le but est de pouvoir fournir des outils opérationnels rapidement dans certains secteurs, choisis en fonction des enjeux environnementaux et de leur maturité sur les enjeux du développement durable, et de développer et mettre à disposition des outils opérationnels pour les autres principaux segments d’achat dans les années à venir.
 

Deux parlementaires ont été chargées d'un rapport pour déterminer comment rendre la commande publique plus responsable sur le plan social et environnemental et plus accessible aux PME. Quelles sont les autres pistes envisagées afin de continuer à verdir la commande publique ?

Lors de sa présidence de l’Union européenne au 1er semestre 2022, la France cherchera à parvenir un accord européen sur des avancées dans la prise en compte de l’environnement dans la commande publique

Olivia Grégoire – La députée Sophie Baudouin-Hubière et la sénatrice Nadège Havete, auxquelles le Premier ministre a confié cette mission de faire des propositions pour favoriser, par la commande publique, la relance et le développement durable,  finalisent leur rapport. Il sera remis au plus tard fin août. Le Gouvernement en prendra connaissance et examinera alors les modalités de mise en œuvre des propositions et recommandations qui lui auront été adressées.

Le nouveau PNAD qui est en cours de finalisation prévoit de conduire un ensemble d’actions pour franchir un cap décisif dans la prise en compte du développement durable dans la commande publique.

Par ailleurs, dans le cadre de la prochaine présidence française de l’Union européenne au 1er semestre 2022, nous entendons œuvrer afin de parvenir à un accord avec nos partenaires européens sur des avancées dans la prise en compte de l’environnement dans la commande publique.
 

Dans le cadre du projet de loi confortant les principes républicains, pour quel type de marché public les pouvoirs adjudicateurs devront-ils faire respecter le principe de neutralité aux agents du prestataire ? Et comment ?

Olivia Grégoire – Pour donner son plein effet au principe de neutralité dans les services publics, les obligations issues de l’article 1er de la loi confortant le respect des principes de la République s’appliquent à tous les contrats publics de la commande publique confiant directement l’exécution d’un service public à une entreprise privée, une association ou encore à un organisme de droit public employant des salariés soumis au code du travail. Par conséquent, les principales activités concernées par le projet de loi sont les transports en commun, la restauration scolaire, les crèches et les activités sportives dès lors qu’elles peuvent être qualifiées de service public au sens de la loi, des règlements ou des critères prétoriens.

Le Gouvernement ne souhaite pas étendre l’application de la loi au-delà des limites jurisprudentielles actuelles. Ainsi, l’application de l’article 1er du projet de loi aux fonctions dites de « support », à l’image des prestations d’entretien ou de réparation, n’est actuellement pas envisagée sauf situations particulières. Ces contrats devront donc contenir des clauses permettant de s’assurer du respect de ce principe par le titulaire et par ses sous-traitants ou ses sous concessionnaires.
Pour garantir l’effectivité de la mesure, les contrats devront ainsi prévoir des modalités de contrôle par l’acheteur et les sanctions envisagées en cas de manquement du titulaire. Une circulaire est d’ailleurs en préparation pour expliquer les modalités de mise en œuvre.
 

Dans le rapport d’évaluation pour le développement du Label RFAR de mars 2021, il est envisagé un décret pour formaliser la vocation du label et la composition du comité du Label. Où en est-il ?

Olivia Grégoire – Nous allons procéder par étape sur le sujet en commençant par réformer la charte, le label et son cahier des charges. Le but est de rendre tout cela plus lisible et accessible grâce notamment à un label avec plusieurs niveaux, et à un outil d’autodiagnostic. Nous verrons ensuite s’il est utile d’homologuer ce label.
 

Le Président de la République, le 12 juillet, a rappelé l’objectif de relocalisation d’activités stratégiques sur le territoire européen et français. La commande publique va-t-elle être utilisée comme un moyen d’y parvenir, en incitant les acheteurs publics par exemple à faire de la préférence locale, ou plus largement de la préférence européenne ?

Le droit permet déjà d’accorder une préférence aux solutions fabriquées en Europe dans certains de ces secteurs et, pour des activités stratégiques, d’exiger qu’au moins une part de la production ou de l’activité soit localisée dans des conditions garantissant la sécurité des approvisionnements

Olivia Grégoire – Dans certains secteurs, la commande publique est en effet un levier de développement industriel. On le voit par exemple dans la santé, l’énergie, l’eau ou les transports. Comme l’a déclaré à plusieurs reprises le Président de la République, la crise sanitaire a mis en évidence le fait que nous avions besoin de renforcer la souveraineté et la capacité d’indépendance de l’Europe vis-à-vis de fournisseurs de pays tiers sur ces segments d’équipements et de fournitures. La préférence locale n’est pas envisageable, ni du point de vue du droit constitutionnel, ni du point de vue du droit de l’Union européenne.

En revanche, le droit de la commande publique permet déjà d’accorder une préférence aux solutions fabriquées en Europe dans certains de ces secteurs et, pour des activités stratégiques, d’exiger qu’au moins une part de la production ou de l’activité soit localisée dans des conditions garantissant la sécurité des approvisionnements.
La prise en compte, dans les appels d’offres, de normes environnementales de haut niveau d’exigence, ainsi que la mise en œuvre la mise en œuvre des spécifications techniques, des conditions d’exécution et des critères d’attribution en matière de qualité environnementale ou de prise en compte du coût global et non pas du simple prix d’acquisition, permettent déjà de maximiser les chances de nos entreprises, qui sont particulièrement bien placées en la matière, de remporter les marchés.
 

On assiste depuis plusieurs mois à des modifications du droit de la commande publique dans un objectif de relance de l’activité économique. Cette relance passe-t-elle nécessairement par la refonte de la règlementation ?

Olivia Grégoire – Notre objectif est de faciliter et accélérer la dépense dans l’investissement public et donc le développement de l’activité des entreprises concernées, en particulier des PME.
Le relèvement des seuils de dispense de concurrence à 100 000 euros pour les marchés de travaux et l’augmentation des avances accordées aux entreprises font partie des moyens juridiques mis en œuvre. Mais ils ne sont pas les seuls.
La relance, c’est évidemment aussi des mesures fiscales en faveur du renforcement des fonds propres de nos entreprises et une multitude d’aides apportées à la fois pour aider nos entreprises et leurs salariés à franchir le cap de la crise sanitaire et à profiter des moyens du plan de relance.
 

La complexité de la règlementation a souvent été soulevée pour expliquer qu’elle ne permettait pas d’aboutir au meilleur contrat possible (comme dans le rapport du député Alfred Trassy-Paillogues de 1995). Est-ce encore le cas aujourd’hui, après les réformes successives de ces dernières années ?

Olivia Grégoire – Les choses ont énormément évolué depuis une trentaine d’années. Aujourd’hui, le droit de la commande publique a considérablement assoupli le cadre de la passation, de l’exécution et de l’adaptation des contrats de la commande publique. Le recours à la négociation est autorisé dans de nombreux cas et les possibilités de modification des contrats sont beaucoup plus larges. Les techniques d’achat nouvelles, telles que les accords-cadres depuis 2004 ou les partenariats d’innovation depuis 2014, facilitent l’anticipation, l’adaptation, l’efficacité de la commande publique, ainsi que le développement de solutions innovantes.
Une nouvelle étape a été franchie depuis une quinzaine d’années, avec une rationalisation et une professionnalisation des processus et des acteurs de l’achat public, notamment sous l’égide de la DAE dans la sphère de l’Etat.
 

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