Haro sur le Code de la commande publique !

partager :


« C'est un grand avantage dans les affaires de la vie que de savoir prendre l'offensive : l'homme attaqué transige toujours »
Benjamin Constant


Pauvre code de la commande publique ! En temps de crise, c’est toujours sur lui que ça tombe! Le code, c’est la cause de tous les problèmes!

Que les acheteurs publics s’en plaignent, cela arrive parfois. Mais ce qu’ils demandent en réalité, c’est de la stabilité. C’est un corpus assez lourd, certes parfois imparfait ou lacunaire (on pense à la demande d’extension de la négociation). Mais il s’agit avant tout de se l’approprier, de le maîtriser pour « jouer » avec, en fonction des politiques Achat décidées.
 

Un coupable parfait

Las… par les temps qui courent, il est plus facile de chercher un coupable qu’une solution. La cause de tous les problèmes, c’est cette réglementation touffue, hors sol, issue d’une sur-transposition des directives. Des directives qui elles aussi n’échappent pas à la critique, par ailleurs : elles ne correspondent plus à la réalité, voire sont perçues comme un échec total (relire "Commande publique européenne : la concurrence en régression. « Mais que fait la Commission ?»" et "Concurrence en berne : la Commission répond à la Cour des comptes").

En France, la lutte contre la corruption, ce n’est plus le sujet ; la dématérialisation, c’est fait ! Non, maintenant, le code doit relancer l’économie (traduire : « aider les entreprises »). En gros, assouplir une règlementation d’un autre temps pour desserrer un étau autour des entreprises aux abois, quitte à jouer régulièrement sur les seuils pour leur lâcher un peu la bride... Ah non, pardon : "pour assouplir ".
 
La charge contre le code n’est pas nouvelle. Certains s’en sont même fait un crédo. Alain Lambert, qui vient de quitter la présidence du Conseil National d’évaluation des normes (et que nous saluons), n’a jamais mâché ses mots. On peut même considérer qu’il avait la dent particulièrement dure contre le code, dans des tribunes et interviews aussi acérées que ciselées, et que nous avons toujours relayées : « La meilleure simplification serait la suppression ! » (relire "[Tribune] Alain Lambert : «Pour une transformation du droit de la commande publique»" ou encore "Alain Lambert : «le droit de la commande publique est abscons et dangereux »").
Mais il y avait là une logique et surtout une constance. Que l’on ne retrouve pas dans les récentes attaques contre le code.
 

Contradiction

D’abord, relevons une contradiction : c'est pour le moins étonnant que de s'en prendre à ce que tous décrivent désormais comme un levier au service de toutes les politiques, environnementales, sociales et sociétales (relire, par exemple, cette semaine "L’achat public : un levier vers une économie durable"). C’est bien dans le code, et au nom d’un protectionnisme européen, que la gamme des motifs d’exclusion à la disposition des acheteurs s’étoffe régulièrement (lire "Information extra financière des entreprises: nouveau motif d'exclusion"). La lutte contre le travail illégal passe aussi par l’achat public (relire "Achat public : la technologie au service de la lutte contre le travail illégal"). C’est aussi grâce à ce code honni que l’Etat peut encourager les start-up (relire "Intelligence artificielle, Innovation et Commande publique"), tout comme certainement un jour, l’égalité Femme/hommes.
 

Funeste petite musique ...

Ces derniers temps, on détecte des « signaux faibles » indiquant une attaque imminente, et probablement d’ampleur, contre le code.
D’abord le président de la République lui-même, à Toulouse, partant de sa crainte que l’IA Act européen n’entrave l’innovation par trop de réglementation, dérive sur le code français : « on ne peut pas avoir un achat public qui, quand deux solutions sont en concurrence, pour des raisons simplement budgétaires, [choisisse] une solution non européenne face à une solution plus locale ou innovante d'un point de vue de recherche". Je demande que dans les projets de début d'année, le ministre [de l'Économie] porte une réforme structurante, pour que notre achat public ait deux tutelles, budgétaire et industrielle ». Et hop ! le code de la commande publique passerait, aussi sur la tutelle de l’industrie…

Autre signal alarmant : la question de l’assurance des collectivités territoriales, probablement l’une des plus grosses difficultés dans les mois à venir. Les assureurs ne répondent plus aux appels d’offres (lire "Un dispositif dépassé pour les marchés publics d’assurance ?"). Pensez-vous que l’origine du problème soit économique ? Ou qu’en réalité, « Les opérateurs ne se bousculent pas au portillon car le monde des collectivités locales n’est pas un "marché juteux" » (relire "Marchés publics d’assurance : au tour des assureurs de tirer la sonnette d’alarme"). Alors même que certains sembleraient déjà en profiter (lire "Recours à un courtier d’assurance en gré à gré : attention aux factures abusives !").

Les discussions sont en cours (relire "[SMCL 2023] Le médiateur des assurances au service des collectivités publiques" et "Assurance des collectivités territoriales : une mission d’urgence pour « une réponse à court terme »"). Et pourtant, la crise était annoncée depuis longtemps (relire "Marché public et assurance : antinomique ?").
Pour les assureurs, les solutions existent : augmenter les tarifs et les franchises, limiter les garanties, voir résilier les contrats.
 

Fort Alamo 

Mais on entend aussi cette petite musique selon laquelle il faut revoir le code. « L’assureur a en effet quelques pistes de réflexions à proposer. En commençant par revoir le code de la commande publique. Avec les appels d’offres, « nous ne pouvons pas discuter avec les collectivités pour avoir une vision plus précise des risques. Il y a des éléments contraignants et des règles qui ne s’accordent pas avec le code des assurances », juge Patrick Blanchard. Les maires partagent l’idée de revoir cette règlementation (à lire dans Maires de France "Assurances : les pistes des maires et de la Smacl pour débloquer le marché").

C’est donc la faute du code. C’est sans doute plus facile pour les maires de s’en prendre à lui que de s’interroger sur leur façon d’appréhender et de connaitre le risque (relire "[Interview] Philippe Barré : « Le Code de la commande publique n’est probablement pas vraiment adapté à un achat raisonnable d’assurances »").A les suivre, la solution serait donc de modifier le code de la commande publique, pourtant "leur code", pour l’adapter, pour ne pas écrire "le soumettre" au code des assurances…

Autre signal faible : la consultation lancée par le ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique pour abonder un projet de loi, attendu début 2024, pour « simplifier », annoncé par Bruno Le Maire le 16 novembre 2023 lors du lancement des Rencontres de la simplification. Un nouveau « choc de simplification »... Un de plus !
Parions que le code va encore se retrouver dans le collimateur des contributeurs. L’Ordre des architectes fait déjà connaître ses propositions : « le manque de visibilité financière n’aide pas à consolider une trésorerie, et encore moins à se projeter dans des appels d’offres » (...) « En l’état actuel de la réglementation, les dispositifs visant à soutenir la trésorerie des TPE-PME dans les marchés publics ne sont pas assez efficaces pour les agences d’architecture » (lire "Simplification" nouveau round ": ce que demandent les architectes" - lire aussi "Rencontres de la simplification : « les écoutilles sont ouvertes »").

Un code déjà affaibli par son interdépendance avec d’autres codes : code général des collectivités territoriales, code de l’environnement, code de l’énergie…). Et dont on met de côté certains de ces principes fondamentaux (durée du contrat, interdiction du paiement différé, dérogation au principe d’allotissement... ) au gré des réglementations sectorielles ou temporaires (lire « de circonstances »).

On encercle le code ; on le rend de moins en moins autonome ; on le fragilise dans ses fondamentaux ; on le critique de toutes parts… C’est fort Alamo !
Bon… d’ici à dire que cela sent le sapin pour notre code, il n’y a qu’un pas… que pour ma part, je ne me résous pas à franchir.