Paiement direct : le sous-traitant est-il obligé de transmettre sa demande au titulaire ?

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Les dispositions prévues par les textes en matière de paiement direct du sous-traitant sont claires. Pour avoir droit au paiement direct, le sous-traitant doit transmettre sa demande au titulaire du marché. Le rapporteur public, Gilles Pellissier, a invité le Conseil d’Etat à sanctionner une cour administrative d’appel qui avait fait de cette condition une simple faculté.

Les modalités de l’exercice du paiement d’un sous-traitant sont décrites à l’article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. Elles ont été par la suite précisées par l’article 116 du code des marchés publics, devenu l’article 136 du décret du 25 mars 2016. Ainsi, « le sous-traitant admis au paiement direct adresse sa demande de paiement au titulaire du marché public, sous pli recommandé avec accusé de réception, ou la dépose auprès du titulaire contre récépissé. Le titulaire dispose d'un délai de quinze jours à compter de la signature de l'accusé de réception ou du récépissé pour donner son accord ou notifier un refus […] Le sous-traitant adresse également sa demande de paiement à l'acheteur, accompagnée des copies des factures adressées au titulaire et de l'accusé de réception ou du récépissé. » Quelles sont les conséquences du défaut de transmission de la demande au titulaire sur le droit au paiement direct ? Telle est la question que le Conseil d’Etat devra prochainement trancher. Dans l’affaire en cause, le département de l’Hérault a conclu avec la société Kairos, en 2008, un marché portant sur l’extension du centre d’exploitation du Caylar et la construction d’un bâtiment pour forestiers sapeurs. La société Angles et Fils est intervenue en qualité de sous-traitant. En novembre 2008, le titulaire a été mis en liquidation judiciaire. En janvier 2009, le marché a été résilié. Trois mois, après la notification du décompte général au liquidateur judiciaire, le sous-traitant a informé le département de la créance qu’il estimait détenir sur lui. Le département a réglé une partie des sommes au titualire du marché. En revanche, s’agissant de la situation n°4, relative à des travaux réalisés par la société Angles et Fils, aucun paiement n’a été effectué. Dans son arrêt, la cour administrative d’appel de Marseille pose comme principe que l’absence de transmission de la demande au titulaire ne fait pas obstacle au paiement direct à moins que le maître d’ouvrage, faute d’avoir été saisi par le sous-traitant en temps utile d’une demande de paiement, ait été amené à payer les prestations réalisées par le sous-traitant à l’entreprise principale. Selon la juridiction, la situation n°4 n’ayant pas été réglée, la société Angles et Fils a droit au paiement direct de la somme demandée. Le département estime que en jugeant ainsi, la juridiction a commis une erreur de droit. Le rapporteur public, Gilles Pellissier, propose au Conseil d’Etat d’admettre le moyen et d’annuler l’arrêt sur ce point.

Les solutions jurisprudentielles

La Cour, estime le rapporteur public, « a transposé à l’absence de transmission au titulaire, la jurisprudence dégagée par le CE en cas d’absence de transmission du titulaire au maître d’ouvrage ». Ainsi, la haute juridiction a jugé que « l’absence de transmission de la part de l'entreprise titulaire de l'attestation relative au paiement du sous-traitant et, d'autre part, devant la carence de l'entreprise sous-traitante qui devait, à l'expiration du délai de quinze jours à compter de leur expédition, envoyer directement une copie du projet de décompte à l'administration, la DDE est fondée à soutenir qu'elle n'a pas été régulièrement saisie en temps utile d'une demande de paiement direct et qu'elle n'a commis aucune faute en réglant dans des délais normaux la totalité du solde des marchés à l'entreprise titulaire (CE, 28 décembre 1988, société Prométal). Ou encore, que « s'il est loisible au maître de l'ouvrage de soumettre au maître d'oeuvre les demandes d'acompte et les pièces justificatives présentées par un sous-traitant au titre du paiement direct, aux fins de contrôler le montant de la créance de ce dernier, compte tenu des travaux exécutés et des prix stipulés par le marché, aucune disposition législative ou réglementaire alors en vigueur n'imposait leur transmission au maître d'oeuvre par le sous-traitant ou le titulaire du marché à peine d'irrecevabilité de la demande de paiement direct. » (CE, 3 juin 2005, société Jacqmin). « La transposition de ces jurisprudences à la présente affaire n’a rien d’évident. Dans les deux cas, elles portent sur des hypothèses où le titulaire a manqué à son obligation d’informer le maître d’ouvrage. En l’espèce, le sous-traitant n’a pas respecté la procédure », indique Gilles Pellissier.

L’application stricte des textes

Quelle solution adopter ? Faut-il faire respecter la règle posée par les textes ou est-il possible d’admettre une solution qui la marginalise, à l’image de celle prise par la CAA ? Selon cette dernière, la saisine du maître d’ouvrage suffit, peu importe que l’obligation de transmission au titualire principale ait été respectée. « Subordonner le droit au paiement direct à la procédure prévue par le textes est certes rigoureux. Pas de transmission de la demande, pas de demande direct », relève le rapporteur public. Outre la demande faite au titulaire, le sous-traitant adresse une demande au pouvoir adjudicateur accompagnée des pièces justificatives. Le titulaire a 15 jours pour accepter ou refuser la demande de paiement.

Pas de transmission de la demande, pas de demande direct

L'acheteur informe le titulaire des paiements qu'il effectue au sous-traitant. « Même si le pouvoir adjudicateur est directement destinataire des factures, la transmission de la demande de paiement au titulaire demeure essentielle », estime-t-il. « Il serait difficile de valider une solution permettant au sous-traitant de s’en affranchir », ajoute Gilles Pellissier. Le rapporteur public ne voit donc aucune raison de ne pas faire respecter les conditions de mise en œuvre du droit au paiement direct prévues par l’article 136 du décret (ancien article 116 du CMP). « Il n’y a pas de solution entre celle retenue par la CAA, qui fait de la transmission de la demande au titulaire une faculté, et une application stricte des textes », souligne-t-il. Il propose au CE d’annuler l’arrêt de la CAA sur ce point et de renvoyer l’affaire à Marseille. Au CE de trancher.