Interdictions de soumissionner : la France se fait taper sur les doigts par la CJUE

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L’affaire porte sur les interdictions de soumissionner en matière de concession. Pour le requérant initial, les textes français ne respectent pas la directive sur l’attribution de contrats de concession. Le Conseil d’Etat a saisi la Cour de justice de l’union européenne, car la requête pose plusieurs questions d’interprétation du droit communautaire.

Une entreprise demande au Conseil d’Etat « d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l'abrogation des articles 19 et 23 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession. » Il est ici question des interdictions de soumissionner relatives aux concessions.
Bien que la demande de l’entreprise porte sur une réglementation qui n’est plus en vigueur aujourd’hui, le Conseil d’Etat relève que « ces dispositions ont été reprises, en ne recevant que des modifications de pure forme, aux articles R. 3123-16 à R. 3123-21 du code de la commande publique. Dès lors, les conclusions tendant à leur abrogation n'ont pas perdu leur objet et doivent être regardées comme dirigées contre ces derniers articles. »
Par une décision du 14 juin 2019 (req. n° 419146) le Conseil d’Etat sursoit à statuer pour saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’une question préjudicielle. Ou plutôt, de deux questions : la réglementation nationale peut-elle ne pas offrir la possibilité à un candidat à une concession, visé par un motif d’exclusion, d’apporter la preuve de sa fiabilité ? Les mécanismes français de mise en conformité sont-ils conformes à la directive 2014/23/UE ? La décision de la CJUE est intervenue le 11 juin dernier.
 

Le repenti


« […] quand bien même il s'agirait d'infractions d'une particulière gravité que le législateur a entendu réprimer, dans un but de moralisation de la commande publique, pour garantir l'exemplarité des candidats » précise le Conseil d’Etat quant à l’absence, dans notre législation nationale, de la faculté de démontrer sa fiabilité lorsqu’une condamnation induit un motif d’exclusion.
« Il ressort du libellé de l’article 38, paragraphe 9, premier alinéa, de la directive 2014/23 que, en prévoyant que tout opérateur économique peut fournir la preuve des mesures correctrices prises, cette disposition confère aux opérateurs économiques un droit que les États membres doivent garantir lors de la transposition de cette directive, dans le respect des conditions établies par cette dernière. »
Cette faculté n’est cependant pas accordée dans chaque situation. L’alinéa 3 de l’article précité prévoit que le candidat ne peut pas apporter la preuve des mesures qu’il a prises s’il est « exclu par un jugement définitif de la participation aux procédures de passation de marché ou d’attribution de concession, et cela pendant toute la période d’exclusion fixée par le jugement et dans les États membres où ce dernier produit ses effets. » Mais «  […] ne saurait être assimilée à une exclusion par un jugement définitif, […] une exclusion qui, en vertu d’une réglementation nationale telle que l’article 39, paragraphe 1, de l’ordonnance n° 2016-65, est prévue de manière automatique à l’égard de tout opérateur économique condamné par un jugement définitif pour l’une des infractions visées à l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2014/23. » 
Pour illustrer ses propos sur le mécanisme des mesures correctrices, la cour cite l’arrêt TIM du 30 janvier 2020 (voir notre article).
 

L’autorité de contrôle


La CJUE juge non conforme à la directive la disposition française d’automaticité de l’exclusion d’un candidat condamné par un jugement définitif

La cour  juge non conforme à la directive la disposition française d’automaticité de l’exclusion d’un candidat condamné par un jugement définitif et faisant l’objet pour ce motif d’une interdiction de soumissionner. Elle s’intéresse ensuite au mécanisme français permettant au candidat de démontrer sa fiabilité. C’est l’autorité judiciaire qui prononce le relèvement, la réhabilitation ou l’exclusion de la mention de la condamnation au bulletin n°2 du casier judiciaire, permettant ainsi au candidat de démonter qu’il a rectifié le tir depuis sa condamnation.
La directive ne mentionne pas quelle autorité est chargée d’étudier les mesures correctives prises par l’opérateur économique. La réglementation nationale doit préciser à qui est confiée cette tâche. « Les autorités judiciaires sont, par nature, à même d’effectuer une appréciation en toute objectivité et indépendance du caractère approprié des mesures correctrices et d’examiner, à cet effet, les éléments de preuve […] ».

« Les autorités judiciaires sont, par nature, à même d’effectuer une appréciation en toute objectivité et indépendance du caractère approprié des mesures correctrices et d’examiner, à cet effet, les éléments de preuve […] »



La conformité du processus qui permet de démontrer et d’acter des mesures correctrices prises doit être étudiée. La cour rappelle qu’il ne lui appartient pas « de se prononcer, dans le cadre d’une procédure introduite en application de l’article 267 TFUE, sur la compatibilité de normes de droit interne avec le droit de l’Union. » Elle peut cependant fournir des éléments pour aider à l’interprétation des textes communautaires.

Le Conseil d’Etat devra en particulier vérifier si l’opérateur économique est mis à même d’apporter la preuve des mesures qu’il a pris et si les autorités judiciaires sont à mêmes d’évaluer leur caractère approprié. Mais, « dans l’hypothèse où le relèvement, la réhabilitation ou l’exclusion de la mention de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire pourraient être prononcés sans que l’autorité judiciaire compétente soit tenue d’évaluer le caractère approprié des mesures correctrices prises et que les opérateurs économiques concernés pourraient ainsi participer à des procédures de passation de contrats de concession en s’abstenant d’apporter la preuve de ces mesures, […] de telles procédures judiciaires ne pourraient être considérées comme répondant à l’objectif 

« [...] le droit prévu à l’article 38, paragraphe 9, de la directive 2014/23 serait privé de sa substance si l’opérateur économique ne pouvait faire utilement usage de ces procédures avant l’issue de la procédure de passation »

poursuivi et aux conditions posées par le régime des mesures correctrices […] ».

« Par ailleurs, la juridiction de renvoi doit s’assurer que les procédures judiciaires prévues par le droit national sont à même d’assurer, en temps utile, à un opérateur économique désireux de participer à une procédure de passation de contrats de concession la possibilité d’apporter la preuve des mesures correctrices prises. En effet, le droit prévu à l’article 38, paragraphe 9, de la directive 2014/23 serait privé de sa substance si l’opérateur économique ne pouvait faire utilement usage de ces procédures avant l’issue de la procédure de passation. »