[Tribune] Les essais, comme pratique de sourcing

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Pierre-Ange Zalcberg, Directeur juridique adjoint de l’Etablissement français du sang (EFS), présente une formule originale de sourcing. Elle consiste à tester in situ des fournitures, hors de toute procédure de marchés publics.

Avec l’article R. 2111-1 du Code de la commande publique (CCP), les acheteurs publics disposent de l’assise réglementaire pour organiser le sourcing nécessaire à l’optimisation de leurs achats. Et ils ne s’en privent enfin plus. De multiples techniques existent pour ce faire. Nombreuses sont les documentations institutionnelles expliquant aux acheteurs les contours de ces pratiques, qui vont de la simple rencontre avec un fournisseur jusqu’aux appels à compétences ou autres questionnaires (voir par exemple le guide de l’achat public consacré au sourcing opérationnel mis en ligne par la Direction des Achats de l’Etat). Sur la même thématique, certains acheteurs publics vont encore plus loin.
 

D'audacieux acheteurs...

Dans les secteurs d’activités où cela s’y prête, notamment en matière d’achat de fournitures médicotechniques, d’audacieux acheteurs vont, en complément des autres techniques de sourcing plus classiques, jusqu’à faire réaliser des essais in situ de fournitures (dispositifs médicaux, logiciels, etc.). Déjà largement usités avec les échantillons dans le cadre des procédures de passation (cf. CCP, art. R. 2151-15) y compris en appel d’offres (CE 6 juin 2015, Société Am'Tech Médical, req. n° 389124), les essais sont plus rarement exploités comme pratique de sourcing, hors de certains achats spécifiques. Cela, sans doute parce qu’ils sont plus complexes à mettre en œuvre.

Le principe ? : hors de toute procédure de marché public, les fournisseurs sollicités par l’acheteur acceptent de mettre gratuitement à disposition leurs matériels sur une période donnée afin qu’ils soient testés

Le principe est le suivant : hors de toute procédure de marché public, les fournisseurs sollicités par l’acheteur acceptent de mettre gratuitement à disposition leurs matériels sur une période donnée afin qu’ils soient testés dans l’environnement de la structure selon un protocole technique ou scientifique. Cette démarche permet d’éprouver les matériels dans des conditions réelles d’utilisation afin d’adapter les usages des personnels aux nouvelles techniques et à leur ergonomie.
Il est vrai que, pour certains pouvoirs adjudicateurs, notamment du secteur hospitalier, les changements de fournisseurs peuvent avoir d’importants impacts opérationnels. Ils doivent pouvoir être anticipés, parfois en conformité avec des normes qui obligent à pré-valider des méthodes de travail.

Bien sûr, ces tests en mode sourcing ne sont pas facilement compatibles avec les règles de la commande publique qui organisent une remise en concurrence périodique par nature incertaine, dont l’essence même est de permettre un potentiel changement d’opérateur économique dans le respect de l’égalité de traitement et de la liberté d’accès à la commande publique. Il faut en effet rappeler que les résultats des études et échanges préalables prévus à l’article R. 2111-1 précité peuvent être utilisés par l'acheteur, à condition que leur utilisation n'ait pas pour effet de fausser la concurrence ou de méconnaître les principes de la commande publique. C’est toute la difficulté du procédé.
 

Une technique complémentaire aux autres pratiques de sourcing, à utiliser avec parcimonie

Les tests peuvent être chronophages et représenter un investissement non négligeable pour les acheteurs publics et les entreprises qui mobilisent du temps et des ressources humaines sans retour certain. Il faut donc qu’ils soient utiles

En sourcing, les tests peuvent d’abord représenter un investissement non négligeable pour les acheteurs publics et les entreprises qui mobilisent du temps et des ressources humaines sans retour certain. Il faut donc qu’ils soient véritablement utiles. Ils peuvent être chronophages d’autant qu’il ne s’agit évidemment pas pour l’acheteur public de choisir d’ores et déjà son nouveau fournisseur ou la solution innovante en vogue. Il devra en effet identifier l’ensemble des opérateurs économiques susceptibles de proposer des solutions comparables pour les solliciter en vue de la réalisation de tests. En ce sens, les autres techniques de sourcing (comme les appels à compétences) sont complémentaires et là encore, tout à fait indispensables.

Sans pour autant que cela n’engage l’acheteur public sur la passation et le contenu d’un futur marché public, l’opérateur économique doit donc être informé que l’acheteur public pourra proposer à chaque concurrent qui le souhaite de mettre à disposition sa solution technique afin qu’elle soit évaluée en condition réelle, ceci afin de ne pas conférer un avantage de nature à fausser les conditions normales de la concurrence.

La complexité est de pouvoir organiser un recensement exhaustif des fournisseurs (ce qui n’est pas si difficile si le secteur est peu concurrentiel) et surtout que tous les fournisseurs concernés acceptent de mettre gratuitement à disposition leur solution technique. Si tel n’est pas le cas, une difficulté liée à une rupture de l’égalité de traitement pourrait se faire jour au moment de l’effective mise en concurrence car l’acheteur public ne pourra que difficilement rétablir l’égalité de traitement dans le cas où un fournisseur non identifié et dont la solution technique n’a pu être testé, viendrait à candidater à un appel d’offres ultérieur. Il n’est par ailleurs pas obligatoire d’organiser les essais des différentes solutions concurrentes en parallèle sur une même période. Mais les conditions de l’évaluation doivent être rigoureusement identiques pour tous les opérateurs qui se prêtent au jeu dans le respect des principes de la commande publique.

En aucun cas, l’évaluation ne peut servir à un fonctionnement en routine, risquer la requalification en marché public ou des poursuites en responsabilité sur le terrain de l’enrichissement sans cause.

On veillera enfin à ne pas utiliser ces essais à d’autres fins que celles pour lesquelles ils sont organisés. En aucun cas, l’évaluation ne peut servir à un fonctionnement en routine, risquer la requalification en marché public ou des poursuites en responsabilité sur le terrain de l’enrichissement sans cause. C’est pourquoi, il est nécessaire d’organiser contractuellement l’essai et de limiter sa durée en définissant des objectifs précis.
 

Traçabilité et transparence

Comme toute pratique de sourcing, le test de fournitures doit être tracé et, compte tenu des enjeux, il importe qu’il soit organisé dans un cadre contractuel permettant de fixer toutes les conditions de réalisation de l’évaluation, la restitution des matériels à son issue, les obligations de confidentialité, les responsabilités et couverture assurantielle. Les éléments de contexte doivent également y être rapportés, en précisant bien que l’évaluation est effectuée dans la perspective d’un éventuel renouvellement de fournitures qui sera réalisé dans le cadre d’un marché public lancé après mise en concurrence.
Par souci de transparence, la mise en concurrence elle-même devra relater les conditions du sourcing réalisé préalablement par évaluations.

Exploiter les résultats du test : les limites de la technique

Les résultats des essais réalisés en sourcing constituent une base de données stratégiques pour l’acheteur public mais également pour le fournisseur testé. Pour l’acheteur public, il y a une limite majeure à leur exploitation : s’il peut utiliser ces résultats pour améliorer son cahier des charges en prévision de la mise en concurrence ou valider des organisations internes, il ne saurait se prévaloir directement de ces résultats pour analyser les offres remises dans le cadre de l’appel d’offres ultérieur, rappel étant que l’acheteur public ne peut se fonder que sur les documents remis dans le cadre de la consultation pour examiner les offres.
On doit en effet bien distinguer les opérations de sourcing, auxquelles les évaluations peuvent se rattacher, et les consultations qui peuvent intégrer des démonstrations évaluables sur échantillons et servant directement à la notation des offres. Les évaluations réalisées en mode sourcing, en amont d’une procédure d’achat, n’ont vocation que de contrôler la conformité d’une solution technique à un ensemble de pré-requis techniques ou organisationnels imposés par l’acheteur dans l’optique de lui permettre de mieux préparer son cahier des charges en prévision d’un achat futur.

L’utilisation du résultat de ces évaluations ne peut consister en leur transcription directe dans l’analyse technique des offres liées à la consultation lancée ultérieurement

Certes, selon l’article R. 2111-1 précité, « les résultats de ces études et échanges préalables peuvent être utilisés par l'acheteur, (…) » mais, lorsque le sourcing consiste en des évaluations de fournitures, l’utilisation du résultat de ces évaluations ne peut consister en leur transcription directe dans l’analyse technique des offres liées à la consultation lancée ultérieurement.
D’une part, en considérant que ces essais sont pour certains opérateurs réalisés antérieurement à la procédure et que, pour d’hypothétiques autres concurrents (ceux se déclarant en cours de consultation), ils seraient réalisés dans le cadre de la procédure, un candidat évincé pourrait estimer que les conditions d’évaluation ne sont pas identiques et ainsi alléguer d’une rupture d’égalité de traitement.
D’autre part, en utilisant directement les résultats des tests realisés en sourcing dans l’analyse technique des offres, l’acheteur ne pourrait faire face au cas d’un fournisseur identifié souhaitant proposer dans le cadre de la consultation, une autre référence technique, même modifiée à la marge, que celle testée antérieurement.

Sur le principe, y compris en prenant en compte la spécificité des fournitures visées et le faible degré de concurrence dans le secteur considéré, il serait plus que fragile au plan juridique d’écrire explicitement dans un règlement de consultation que les fournitures seront appréciées sur la base d’un critère technique en tenant compte des essais réalisés antérieurement réalisés par l’acheteur public sur ces fournitures.
C’est la limite de l’exercice, les résultats des évaluations, consignés et tracés, pourront servir uniquement en vue de confirmer certains points : les niveaux de performance et autres éléments techniques allégués par les candidats dans leur mémoire technique remis à l’occasion de la consultation. Le règlement de la consultation pourra préciser seulement que l’analyse technique des offres doit être réalisée sur la base de la documentation fournie par les candidats lors de la consultation (tout au plus, les tests réalisés en sourcing peuvent éventuellement servir à contrôler la véracité des informations transmises par les soumissionnaires).
Les résultats de l’essai réalisé par l’acheteur public peuvent aussi représenter des données importantes pour le fournisseur concerné. Ces résultats techniques peuvent en effet servir en vue d’obtenir les agréments utiles à la commercialisation de fournitures (pour l’obtention d’agréments par des organismes de contrôle de qualité externe par exemple). Ce n’est assurément pas l’objet premier de l’évaluation en mode sourcing et il ne faudrait pas que ces résultats soient perçus comme une contrepartie à la mise à disposition gratuite du matériel, mais il peut être prévu dans la convention qu’une partie au moins des résultats de l’essai soit communiquée au fournisseur concerné pour son amélioration continue.
C’est là un moyen de stimuler la concurrence et d’aménager un rapport acheteur/fournisseur favorable aux deux parties, nécessaire à la réussite de cette méthode originale de sourcing.