Favoritisme et seuils en commande publique : entre suspicion et dogmatisme

  • 04/06/2020
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"Ce n'est pas le doute, c'est la certitude qui rend fou"
Friedrich Nietzsche



Soyons magnanimes : admettons le droit à l’erreur et que chacun apprend "en marchant". Le retrait de la proposition d’amendement du groupe LaRem du Sénat pour porter le seuil à partir duquel les marchés peuvent être passés sans  publicité et mise en concurrence formalisée à 100 K€ euros (relire " La République en Marche demande un seuil à 100 K€ généralisé") a fait long feu. Beaucoup s’en sont félicité, voyant dans le concept du même de "seuil" non un verrou, mais une garantie... à maintenir (relire "Les seuils dans les marchés publics : verrous ou garanties ?"). 
Seront-ils vraiment rassurés si, en réalité, cette "marche arrière" est probablement plus due à la "redécouverte" de la séparation des pouvoirs et de l’articulation entre les articles 34 et 37 de notre Constitution ? Pas sûr…
 

Une épidémie ?

La crise du Covid-19 et les mesures d’urgence prises pour assurer, puis relancer, la commande publique (consulter nos dossiers spéciaux "La commande publique à l’épreuve du Covid-19 " et "Relancer la commande publique. Oui, mais comment ?") alimentent des craintes de plus en plus marquées : assiste-t-on à un "lâcher prise" dans la lutte contre la corruption ? En quelques jours, alertes et mises en garde se succèdent (lire "Eviter une épidémie de corruption"). Selon le Réseau des autorités de prévention de la corruption (NCPA), la prévention de la corruption doit au contraire jouer un rôle clé dans la réponse mondiale au Covid-19. Il considère que les situations d’urgence ont conduit à une concentration du pouvoir, d’autant plus risquée que des sommes considérables sont injectées dans l’économie pour atténuer la crise : «  les risques de corruption ne devraient pas être sous-estimés ».
Il faut reconnaître que l’urgence a poussé de nombreux acheteurs à parer au plus pressé, le respect des contraintes et procédures chronophages n’étant vraiment pas leur priorité (relire "Je crains le retour du carcan administratif"). Bercy même semble s’inquiéter des dérives et autres fraudes, puisque une cellule anti corruption masque a pris son essor (lire "Cellule anti-fraude : Bercy Meaucoup !") et constate une prise de risques accrue avec la crise : « nombre d’acheteurs territoriaux ont été soumis à une énorme pression de la part leur hiérarchie, soumise elle-aussi à celle des élus. Les règles de la commande publique ont été revisitées. On commande d’abord, on contrôle après…».
 

"Ayatollahs de la transparence"

Le plus inquiétant n’est peut-être pas cette première tentative de rehaussement de seuil. Le projet de loi portant "Dispositions pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19" prévoit, à nouveau, de reporter de deux ans, encore, l’entrée en vigueur de l’extension au niveau local du répertoire des représentants d’intérêts, autrement appelés "lobbyistes". 
Ce qui inquiète sans doute encore plus, c’est la radicalité des propos des défenseurs de cet amendement sénatorial : « les ayatollahs de la transparence nuisent en vérité à la bonne gestion locale » a justifié, Jérôme Bascher, sénateur LR et auteur de l’amendement. Tout en nuances...
 

« Ben… Y a qu’à saucissonner ! »

Rassurons cependant les plus inquiets : l’absence de probité n’est pas qu’une question de seuil. C’est surtout un état d’esprit, comme en témoigne cette affaire dont les faits relèvent quasiment de la caricature (lire "Licenciement pour saucissonnage de marchés et favoritisme"): un agent, par ailleurs élu, a volontairement et de manière systématique morcelé les commandes en vue de s'exonérer de l'obligation de mettre en concurrence les prestataires. Ce saucissonnage en règle lui a permis de passé des commandes pour un montant de 312 361,80 euros auprès des trois sociétés... appartenant à un ancien collègue. Et alors que certaines prestations étaient inutiles ou disproportionnées au regard des besoins du service, ou encore surfacturées…. C’est une véritable antologie !

Très loin de ce mauvais exemple, pour qui le seuil, quel qu’en soit le montant, n’a donc en soi aucune valeur, d’autres s’attachent au contraire à miser sur le professionnalisme des acheteurs publics (lire la tribune de Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises, "La hausse du seuil est un signe de confiance envers les acheteurs publics !").
Quel que soit ce seuil, il reste d’abord une marque  de confiance.
 
 
Jean-Marc Joannès
 

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