L'achat public, d’un contrôle affaibli... à d’autres

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"La confiance n'exclut pas le contrôle"
Lénine


« Décrépitude »... Le mot est fort. Mais il correspond à une réalité : le contrôle de légalité s’affaiblit, d’année en année, de "new management public" (NPM) en "révision générale des politiques publiques" (RGPP) en passant par la "modernisation de l'action publique" (MAP).... « Faire mieux avec moins », qu’ils disaient...
Il ne s’agit pas de s’en réjouir ou de s’en plaindre, mais de s’interroger sur les effets de cet affaiblissement pour l’acheteur public (lire "Le contrôle de légalité en décrépitude"). Affaiblissement, ou, si l’on préfère "positiver", changement de nature du contrôle de légalité (relire "Dans les coulisses d’un contrôle de légalité").

ON EXPLIQUERA, sans flagorner notre lectorat, que l’affaiblissement du contrôle de légalité correspond, pour partie, à la professionnalisation des acheteurs publics. Une professionnalisation grâce à laquelle est écarté tout danger lié à une augmentation des seuils de procédures formalisées pour répondre au nécessaire soutien des entreprises, ou au nom de l’accès de la commande aux PME/TPE et autres start-up en manque de simplicité. Des seuils relevés à titre « expérimental ».... mais immanquablement « pérennisés » dans la foulée (relire "Marchés de travaux : de nouveaux assouplissements pour les entreprises").

ON SE DEMANDERA si il n’y a pas, en réponse à cette "justification" par la professionnalisation des acheteurs publics, une pique de la Cour des comptes qui regrette qu’en parallèle, « l’effort de professionnalisation des agents a été insuffisant, en l’absence d’un robuste système de formation de niveau "approfondissement"». Retour à la case RGPP : pour la Cour des comptes, c’est donc surtout une question d’effectif. Elle se plait à signaler que « la préfecture d’Indre-et-Loire ne contrôle plus les actes de commande publique depuis le départ de l’agent qui en était chargé ».

ON S’AMUSERA (peut-être) d’une des explications avancées par la perte de puissance du contrôle de légalité : « la complexification du droit et la répartition des compétences entre les ministères compliquent cet exercice par les préfectures. En effet, constate la Cour des comptes « le contrôle de légalité et des actes budgétaires est confié au préfet, le ministère de l’Intérieur reste néanmoins le chef de file de cette politique publique. Or, la complexité croissante du droit nécessite un appui de la part d’autres ministères qui disposent de compétences spécifiques : le ministère de l’Economie et des finances pour le contrôle des actes budgétaires mais aussi pour la commande publique, ou encore le ministère de la Transition écologique pour l’urbanisme. » Pour abonder dans le sens de la Cour des comptes, on avouera que l’architecture "commande publique" du gouvernement Borne II laisse perplexe (relire "Les ministres "commande publique" du Gouvernement Elisabeth Borne II : 5 ministres à Bercy").

ON AVOUERA, aussi, qu’avec l’avènement d’un achat public qui ne peut être, désormais, que durable (même si cela patine encore un peu au démarrage : lire "Spaser : état des lieux en décembre 2022 ? Pas terrible !"), on a parfois un peu de difficulté à remonter la piste, à trouver l’interlocuteur : du coté de Bercy ? Ou du ministère de la Transition écologique ? Ou de l’Intérieur si on vise "local "? Si l’on veut parler " achat durable", on ne sait plus à quel secrétaire d’Etat s’adresser ! D’ici à ce que l’on vienne à plaider pour une centralisation entre les mains d’un  grand ministère de la commande publique...

ON SERA D’ACCORD pour reconnaître que les annonces "politiques" ont parfois de quoi perturber. Ainsi en est-il lors que Christophe Béchu ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, indique qu’il entend « bouger les règles» de la commande publique. Pourquoi lui ? Pourquoi pas Dominique Faure, Ministre déléguée auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité ? Ou alors, au nom de la simplification "pour les entreprises", Olivia Grégoire ? ou Roland Lescure ? Décidément, on y revient : à quand une délégation interministérielle chargée de la commande publique ?
A condition, bien sûr que Bruno Le Maire y consente...

ON OBSERVERA, en vertu de cette professionnalisation des acheteurs publics, que, de fait, le volet juridique est de mieux en mieux assuré. En conséquence, le contrôle "commande publique" s’efface au profit d'un contrôle de l’efficience de la gestion publique. Nous relevons cette semaine un élargissement, par décret, des conditions de saisine des chambres régionales des comptes (lire "Evaluation des politiques locales : élargissement de la saisine des chambres régionales des comptes"). Désormais une chambre régionale des comptes peut, de sa propre initiative, procéder à l'évaluation d'une politique publique relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion (CJF, art. R. 245-1-1.). Autant dire que du côté des élus locaux, cela grince ! (lire sur maire-info "Chambres régionales des comptes et collectivités locales : un décret qui va bien au-delà de la loi").
Un contrôle de bonne gestion qui va loin. Nous avons aussi ponté cette semaine un décision de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), condamnant à une amende une ancienne directrice et directeur adjoint de l’établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD). Bien que le pouvoir adjudicateur « a la possibilité dans certaines circonstances de ne pas appliquer des pénalités de retard pourtant exigibles en application du marché», reconnaît la CDBF, « en l’espèce, l’envoi d’une mise en demeure au prestataire confirme la volonté de l’établissement de percevoir lesdites pénalités. Dans ces conditions, le fait de ne pas avoir liquidé et ordonnancé des pénalités de retard (...) est constitutif de l’infraction prévue à l’article L. 313-4 du code des juridictions financières » (lire "Une condamnation pour absence de liquidation des pénalités"). "Dura lex, Sed lex" ... alors même que le gouvernement appelle à avoir la main légère sur les pénalités de retard ?

ON SE FERA PLAISIR, enfin, en relisant une réflexion menée il y a déjà quelques années, dans ces colonnes (relire "Le cerbère de l’Achat public"). Nous nous demandions alors s’il s’agissait d’une vision simpliste ou d’une intuition : « alors que la commande publique s'assume en tant qu'acte essentiellement économique, la répartition de son contrôle évolue aussi. Dessinée à gros traits, on voit apparaître une créature tricéphale, à l'instar du mythologique cerbère : le juge administratif, c’est le juge du respect des procédures, garant principalement de l’égalité des chances d’accès à la commande publique et de la transparence. Le juge financier, c’est le gardien de la performance, le censeur de l’efficacité. Quant au juge pénal, à lui de pourfendre les atteintes aux règles élémentaires de probité… »

Des missions multiples, de plus en plus de ministres compétents, des contrôleurs à foison, à toutes les étapes de l’achat public...
Oui, assurément, il y bien a de quoi pousser les acheteurs à la professionnalisation !