Notation des offres : une efficacité... mal notée

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"L'homme est incapable de choix et il agit toujours cédant à la tentation la plus forte"
André Gide


L’humain face à la logique mathématique... Juristes et économistes se mettront-ils un jour d’accord ? Cette semaine, la rédaction d’achatpublic.info se penche sur cette question récurrente, qui alimente contentieux sur contentieux : comment apprécier de façon objective les offres. La question est sensible et notre dossier "Méthode d'évaluation des offres" ne cesse de s’enrichir de tous les points de vue.

« La seule philosophie qui vaille pour l’acheteur dans la pratique de son "Art", n’est autre que la recherche de l’offre économiquement la plus avantageuse » expliquait Laurent Lequilliec, Chef du Service Prospective et Performance des achats - Métropole Toulon Provence Méditerranée Mais, précisait-il, « pour bien conduire son analyse et chercher la vérité dans les offres, rien ne vaut une méthode solide, approuvée et éprouvée » (relire " [Tribune] L’analyse des offres : discours de la Méthode (pour bien conduire son analyse et chercher la vérité dans les offres").
 

Les économistes ont décidemment la dent dure

Les économistes n’y vont pas de main morte. « Les pouvoirs adjudicateurs notent le plus souvent comme s’ils évaluaient une copie de français » lançait, il y a déjà quelques temps Xavier Robaux (relire "La méthode de notation qui ferait économiser des milliards d’euros"). « Ils vérifient que les notions du cahier des charges soient bien reprises dans le mémoire technique. Cette approche ne tend pas à valoriser les apports d’une offre, mais plutôt la capacité du soumissionnaire à paraphraser.» L’économiste de l’achat public expliquait alors que la traditionnelle méthode de notation par points, souvent, ne permettrait pas de dégager l’offre économiquement la plus avantageuse.
Le problème ne viendrait pas de la méthode en elle-même, mais de l’absence de prise de conscience, au sein des services achat, qu’une différence de points entre les offres sur le volet technique entraîne des écarts économiques. Son crédo : « Les pouvoirs adjudicateurs doivent d’abord appréhender le choix des critères d’attribution et de leur pondération sous l’angle économique » (relire "Choix des critères d’appréciation et de leur pondération : une méthode pertinente à découvrir ").

Il y a déjà quelques semaines, Pierre Henri Morand, professeur d’économie à l’université d’Avignon, nous assénait un vigoureux « les critères d’attribution d’un marché, à eux seuls, ne sont pas une recette efficace pour sélectionner un fournisseur » (relire "Un critère d’attribution, dans l’absolu, cela ne veut rien dire !"). Il expliquait qu’avec une même pondération pour les critères mais avec des méthodes de notation différentes, « on n’aboutit pas à la sélection d’une même entreprise ». Selon lui, les règles utilisées sont en effet "relatives", le score final dépend de l’offre de l’entreprise mais aussi des offres des autres entreprises. « Le poids d’un critère, en soi, ne dit rien tant qu’on n’a pas compris l’impact de la règle de score ».

Cette semaine, François Maréchal en remet une couche. « Le système d’attribution des marchés publics souvent mis en place ne tend pas vers un achat efficace et efficient », observe le Professeur du Centre de recherche sur les stratégies économiques de l’Université de Franche-Comté (lire "L’arbitraire se cache dans la méthode de notation des offres des soumissionnaires"). « D’abord, le processus de notation des offres peut s’appuyer sur des facteurs qui n’ont pas lieu d’être dans la prise de décision. Ensuite, n’étant pas totalement transparent, il donne un pouvoir discrétionnaire à l’acheteur pouvant être source d’insécurité juridique ». Au final, il existerait en réalité une multitude de méthodes de notation qui conduisent ainsi à des résultats différents.

Ce sont donc des économistes qui nous alertent sur le fait que l’objectivisation du choix des offres, en réalité, n’existe pas, voire ne peut exister.
 

De la cohérence !

Et puisque les choses ne sont jamais simples, nous relevons aussi cette semaine cette nouvelle alerte lancée par la Chambre régionale des comptes Centre-Val de Loire : la notation d’une offre ne se résume pas à attribuer simplement une note. Elle est le fruit d’un raisonnement construit à partir des critères de jugement des offres, des sous-critères, des éléments d’appréciation, et des commentaires. Et s’il n’y a pas de corrélation entre ces composantes, l’attribution du marché est entachée d’illégalité (lire "Pas de système aléatoire dans la notation des offres").

Autrement dit, et c’est la seconde zone de risque, les critères de notation choisis par le pouvoir adjudicateur doivent être suivis tout au long de la procédure, et en toute cohérence. En l’espèce, la CRC rapproche au pouvoir adjudicateur de ne pas s’être appuyé sur un sous-critère de la valeur technique qui était pourtant annoncé et a, en revanche, usé d’un sous-critère qui n’apparaissait pas, cette fois-ci, dans le dossier de la consultation.
Incohérence donc, mais aussi inflexibilité préjudiciable au marché : la CRC reproche aussi au pouvoir adjudicateur de ne pas avoir ajusté sa notation après que des candidats ont fait évoluer leur proposition à la suite de la négociation. « Un soumissionnaire a diminué son délai d’exécution de neuf à sept mois, se rapprochant ainsi des délais des autres candidats, sans pour autant voire sa note réévaluée ».
 

Contestée... et redoutée

La chose se complique encore quand le juge administratif considère qu’une méthode de notation, consistant à évaluer de manière différente un même grief au regard des conséquences différentes qui en ont résulté, n'est pas entachée d'irrégularité dès lors que les éléments d'appréciation pris en compte ne sont pas dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation (relire "A "remarques négatives" identiques, la notation des offres peut être différente" et "Distorsion alléguée entre éléments d’appréciation et critères de sélection des offres").
Oui, en matière de notation des offres, il convient donc d’être prudent, cohérent et à l’écoute des candidats, qui ne manquent pas de relever devant le juge tout ce qui peut leur paraître suspect (relire "Notation des offres : un nombre décimal sème le doute").

Il demeure, de toute façon inquiétante, que la notation des offres, qui devrait être au cœur du respect des principes fondamentaux de transparence et d'égalité de traitement, reste au mieux, redoutée par sa technicité ; au pire, contestée dans sa compréhension même...