La commande publique « en plan » ?

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« Ce qu'on appelle stratégie consiste essentiellement à passer les rivières sur des ponts et à franchir les montagnes par les cols »
Anatole France



L’évolution par la loi du Code de la commande publique est-elle bloquée ? On peut se poser la question, en observant les turpides du projet de loi "Industrialisation verte", qui a débuté ce mardi 20 juin son parcours législatif, et dont la version sénatoriale est désormais connue (lire "La commande publique "d’industrialisation verte", selon le Sénat").

Le projet de loi comporte de multiples volets et notamment en matière d’urbanisme et d’environnement. L’idée générale qui le sous-tend dans ces deux matières, ô combien sensibles, c’est qu’il faut faciliter la ré-industrialisation de la France en réduisant les délais et procédures pour favoriser et faciliter la construction rapide d’entreprises.
Certains esprits taquins assurent que le vote de la loi rapide et dans de bonnes conditions pourrait permettre de remporter le "marché" de méga usine de batteries électriques d’Elon Musk, qui hésiterait encore entre la France et l’Espagne comme lieu d’implantation...
 

Alertes

S’agissant du volet de la loi qui nous intéresse dans ces colonnes, la commande publique... c’est étonnant ! Et a priori mal embarqué. Sauf à considérer, comme l’assurait récemment dans nos colonnes le député Bruno Millienne, co-pilote" du groupe de travail préparatoire "Produire, commander et acheter français" (relire"[Interview] Bruno Millienne : « Simplifier la commande publique durable, grâce au standard "EEE"»") les dispositions Commande publique seront, au final, bien plus importantes, quantitativement et qualitativement, que dans le projet de loi initial, le débat parlementaire, sur un sujet censé faire l’unanimité (la ré-industrialisation de la France) faisant son œuvre créatrice.
Certes. Mais avouons que dès le départ, il y a eu des alertes, avec un avis au final assez critique du Conseil d’Etat (relire "Projet de loi Industrialisation verte : avis mitigé du Conseil d’Etat").
 

Tricotage et détricotage

achatpulic.info, comme pour tous les projets et propositions de lois, suit les débats parlementaires. Mais ne reviendra vers vous qu’a l’occasion des étapes clés du parcours législatif (votes par le Sénat (lire "La commande publique "d’industrialisation verte", selon le Sénat) et par l’Assemblée nationale).
Il ne s’agit certainement pas de suivre la formule "trop d’information tue l’information" (serons-nous un jour suffisamment informés ?) Non, c’est plutôt que, du jour au lendemain, une disposition est supprimée en Commission, réimplantée par le Gouvernement par amendement, discutée, amendée... Bref, tant que la matière n’est pas "stable", inutile d’apporter de la confusion à la confusion.

De la confusion ? Pour preuve : qu’est devenu le "standard EEE" dans le texte soumis au Sénat le 20 juin, dont le député Bruno Millienne faisant pourtant l’apologie ?
Que deviendra l’exclusion de candidature d’une entreprise qui ne satisfait pas son obligation d’établir un bilan des émissions de gaz à effet de serre (Beges) ? Ce motif d’exclusion au titre du Beges est supprimé en commission sénatoriale... mais réintroduit par le Gouvernement.
Idem s’agissant d’un éventuel rehaussement à 300 000 euros du seuil "marché public innovant" : supprimé en commission, rajouté par amendement gouvernemental...

In cauda venenum, dès le début de l'examen devant le Sénat, le 20 juin, le rapporteur de la Commission de l'aménagement du territoire assène une douloureuse critique : « Le projet de loi industrialisation verte est imparfait et imprécis : nous avons dû adopter 37 amendements. C’est une petite loi de correction ».
Bref : c’est pas mûr !
 

Parlons « esprit des lois »

En revanche, ces premières péripéties parlementaires du projet de loi Industrialisation témoignent d’un certain malaise.

Les commissions du Sénat avaient estimé que, justement, le motif d’exclusion "Beges" prévu dans le projet initial devait être retiré, car cette obligation était déjà prévue par la loi et que « la vocation du code de la commande publique n’est pas de faire respecter la loi ». Une position qui rappelle l’un des motifs de grogne du Conseil d’Etat dans son avis du 11 mai 2023 qui fustige des « dispositions indécises ». Autrement dit, le projet de loi n’apporte rien. En tout cas, s’agissant de son volet Commande publique, il ne fait que répéter la loi "Climat et résilience". Il aurait pour véritable objet d’en accélérer la mise en œuvre ... au risque, au final, de compliquer le droit.

D’ailleurs, déposé en commission sénatoriale, un amendement visait à rappeler aux services de l’État la nécessité de mettre à la disposition des pouvoirs adjudicateurs des outils opérationnels de définition et d’analyse du coût du cycle de vie des biens pour les principaux segments d’achat. Tout ce que les acheteurs publics attendent pour mettre en œuvre la loi "Climat et résilience"...

Ce serait donc une loi "bavarde", voire purement « déclarative ». Diantre ! Si tel était le cas, pourquoi le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) aurait-il rendu, lui, un avis positif sur le projet de texte (relire "Projet de loi Industrialisation verte : feu vert du CNEN") ? Une hypothèse : le CNEN s’est surtout focalisé sur le volet Urbanisme visant à simplifier les prises de décisions locales. Hormis les dispositions en matière d’urbanisme et de réhabilitation de friches, il a souligné « ne pas avoir de remarques particulières à émettre sur les dispositions du projet de loi ».
 

Des plans à foison

Cette analyse d’un projet de loi "de pure intention" vaut ce qu’elle vaut. Mais elle est confortée par une observation parallèle : le Gouvernement n’a jamais autant agit par annonces de plans. On pourrait ainsi s’amuser à lister ces plans, programmes et autres "orientations" du Gouvernement, en matière de commande publique comme sur bien d’autres sujets.

Avec une première limite : ces plans sont toujours dotés financièrement, mais selon quelle réalité ? Ne s’agit-il pas de la réorientation, du "fléchage" de lignes budgétaires déjà existantes ? Par ailleurs, en faisant avancer la commande publique avec de tels « plans », on ne risque pas grand-chose, puisqu’ils ne reposent sur aucun engagement juridique... tout en permettant d’afficher sinon un mouvement, au moins une orientation...

Cette vision critique ne vaut évidemment pas pour une directive, dont l’essence même est de fixer un objectif (relire "Sanctions, résiliation et sous-traitance ce que les Etats membres « devraient faire » pour assurer l’égalité Femmes/hommes dans la rémunération"). Elle ne vaut pas pour le PNAD : lui indique franchement son objet et repose clairement sur des incitations et l’engagement des acheteurs publics (relire "[Tribune] : " Que penser du nouveau PNAD ?") et "[Interview] Michael Surelle : « le PNAD : c’est un concentré de bon sens !»"). Elle ne vaut pas non plus pour ces documents cadres qui définissent des orientations stratégiques d'achats (relire "Achat responsable : le "document-cadre" de la DAE" et "Achats de l’Etat : 3 orientations stratégiques pour les 3 ans à venir").

Mais que penser du foisonnement de plans annoncés de façon tonitruante depuis quelques semaines. Pour restreindre le champ à l’achat public, relevons un plan pour les start-Up innovantes (lire "Les acheteurs publics mobilisés pour un nouveau coup de pouce pour les « start-up »") ainsi qu’un nouveau plan en matière de santé (lire "Un plan pilote » pour des achats Santé innovants") ; ou encore un plan de soutien des industriels du "cloud computing" (relire "Souveraineté numérique et commande publique : est-ce compatible ?") ; enfin, le plan égaconditionnalité dans la commande publique (relire "Egaconditionnalité dans la commande publique : ce que dit le Plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027").


Etonnant, non ? ... Le Gouvernement aurait-il épuisé ou renoncé à la voie parlementaire ? Ou bien, en même temps que le nouveau plan de ré-industrialisation de la France, il veut aussi tenir, avec ces différents plans, sa promesse de gestion en " start-up Nation"... au nom de l’"agilité"?