Le régime de la concession provisoire en cas d’urgence

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La passation pour l’exploitation des « sucettes » publicitaires de la ville de Paris a été le théâtre d’une série de litiges. Le dernier contentieux, en date du 24 janvier 2018 devant le Conseil d’Etat, s’est porté sur la légalité d’une concession provisoire de gré à gré. La ville de Paris n’a pas tardé à utiliser ce procédé en invoquant l'urgence, dont le régime a été conçu il y a tout juste un an et demi par la haute juridiction. Pour le rapporteur public, cette dérogation aux règles de publicité et de mise en concurrence doit rester exceptionnelle.

40 millions d’euros de recettes, liés à la publicité émises sur les 1 630 mobiliers urbains de la capitale, sont susceptibles de s’envoler pour la ville de Paris. Les perspectives de voir des affichages publicitaires sur ces « sucettes » à moyen terme sont quasi-nulles. A la lecture des conclusions du rapporteur public (ce mercredi 24 janvier, devant le Conseil d’Etat), l’annulation par le tribunal administratif (TA) de Paris de la concession provisoire de gré à gré, semble se confirmer. La finalité de ce contentieux peu réjouissante pour la commune fera le bonheur des collectifs antipub et également des professionnels du droit. En effet, cette affaire a permis à Gilles Pellissier d’étoffer ce nouveau régime dérogatoire aux règles de publicité et de mise en concurrence en cas d’urgence applicable aux concessions. Il a été conçu par la haute juridiction, il y a tout juste un an et demi (CE, 4 avril 2016, Société Caraïbes Développement, n°396191 / CE, 14 février 2017, SMPA et GPMB n°405157). En l’espèce, la ville de Paris a installé sur son territoire des panneaux à double faces dont l’une accueille l’information municipale et l’autre supporte de la publicité.

Jusqu’au 31 décembre 2017, ces biens mobiliers étaient exploités par l’entreprise Somupi (filiale de la société JC Decaux). La commune a réalisé une passation aux printemps 2016, pour renouveler cette prestation, afin qu’elle puisse débuter le lendemain de cette échéance. Toutefois, la procédure a été annulée par le juge du référé précontractuel, en mai 2017, à cause de la méconnaissance de la commune de son règlement local de publicité.

Faire la jonction avec le contrat précédent afin de bénéficier toujours des recettes

L’ordonnance a été confirmée par le Conseil d’Etat en septembre 2017. Après le second verdict, la mairie a souhaité conclure une concession provisoire avec le prestataire sortant pour une durée de vingt mois, à partir du 1er janvier 2018. L’objectif de la mairie était de faire la jonction avec le contrat précédent afin de bénéficier toujours de ces recettes, durant le lancement de la prochaine passation. Rebelote, la commune a été assignée en référé précontractuel par les concurrents de Somupi. A la suite de cette décision juridictionnelle, les parties au contrat se sont pourvues en cassation. Elles ont justifié cette contractualisation en mettant en avant la portée de l’arrêt SMPA et GPMB.

Dérogation exceptionnelle aux obligations de concurrence


« En cas d’urgence résultant de l’impossibilité dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service, conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de concession de services sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites (…) » (CE, 14 février 2017, SMPA et GPMB n°405157).

Cette règle doit être réservée aux cas exceptionnels

Cette faculté, autorisée par le Conseil d’Etat de permettre à l’acheteur de s’affranchir de ces obligations, est très forte, commence le rapporteur public. Premièrement, elle ne découle ni de la directive européenne 2014/24/UE du 26 février 2014, ni de l’ordonnance 2016-65 du 29 janvier 2016. Deuxièmement, elle est, en soi, contraire au principe de la commande publique. Mais, cette dérogation répond à une carence des textes en matière d’urgence (actuellement non comblée par la Cour de justice de l’Union européenne). En raison du contexte dans lequel s’inscrit cette dispense, Gilles Pellissier annonce la couleur : cette règle doit être réservée aux cas exceptionnels. 

Les services fondamentaux concernés


Le TA de Paris a recherché conformément à la décision SMPA et GPMB, si cette situation d’urgence, dans laquelle s’est trouvée la commune, était indépendante de sa volonté. Il répond par la négative. Le tribunal reproche à la mairie de s’être abstenue en ne réalisant pas une nouvelle passation, au moment où la procédure précédente fut annulée en première instance (mai 2017). Cette évaluation relèverait de l’appréciation souveraine des juges du fond, déclare le rapporteur public. En revanche, cette exigence de décorrélation entre le comportement de l’autorité concédante et l’urgence serait subsidiaire. Implicitement, elle écarte d’une part toute velléité des personnes publiques à préparer l’urgence ou d’en tirer profit. D’autre part, elle rappelle que ces personnes ne peuvent profiter des conséquences de leurs négligences. Pour Gilles Pellissier, la condition sine qua none de l’urgence tient plutôt à la nature du service et à ses conséquences en cas de discontinuité. « [L’attitude, fautive ou non de l’autorité concédante] ne devrait pas pouvoir faire obstacle à la conclusion d’une concession de gré à gré, si elle est le seul moyen pour assurer un service absolument indispensable à un intérêt essentiel de la population, dont l’interruption porterait une atteinte particulièrement grave à l’intérêt général ».

La condition sine qua none de l’urgence tient plutôt à la nature du service et à ses conséquences en cas de discontinuité

La commune met en avant cette coupure, dans la diffusion de l’information municipale. Le juge des référés a, quant à lui, soulevé plusieurs canaux de communication pouvant assurer ces messages tels que : les voies d’affichages sur les kiosques et les abris destinés aux voyageurs des bus ou encore son « fil twitter » et le magazine « A nous Paris ». Là encore, le contrôle du Conseil d’Etat doit se limiter à la dénaturation des pièces du dossier, admet le maître des requêtes. S’agissant de l’objet du contrat, il souligne le fait suivant, en se référant à l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat du 4 novembre 2005, Société Jean-Claude Decaux : la gestion de support des informations municipales ne peut être qualifiée de services publics nécessaires au bon fonctionnement de l’administration pour la satisfaction des besoins indispensables aux administrés.

L'intérêt général tenant à la continuité du service


D’autant que, cette dérogation à l’obligation de publicité ne serait pas contraire à la directive européenne dans la mesure où cette pratique est « réservée au cas où un intérêt général supérieur le justifie absolument et dans la seule mesure de cette justification », insiste le rapporteur public. (Au passage, le droit de l’Union européen autorise une telle exception pour les marchés publics alors que les procédures sont plus contraignantes). Qu’en est-il de l’intérêt financier ? Selon la collectivité, ce motif est parfaitement acceptable. Elle cite la jurisprudence des sages du 5 juillet 2017, Commune de La Teste-de-Buch. Le rapporteur public écarte cet argument car le leitmotiv de cette dispense doit être la continuité du service. La ville de Paris ne pouvait donc s’affranchir de ces contraintes procédurales. Gilles Pélissier conclut au rejet du pourvoi.