Les acheteurs hospitaliers sur tous les fronts

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"Malheureux les pays qui ont besoin de héros"
Bertolt Brecht


L’hôpital public et ses acheteurs sont-ils condamnés à l’exploit permanent ? Voire à résoudre des équations impossibles ?
Lorsqu’un établissement hospitalier est à nouveau victime de cyber attaque, c’est la consternation. D’abord, parce que la pratique d’extorsion est particulièrement infâme. Ensuite, parce que l’hôpital public, en France, c’est sacré. Malheureusement, on connaît déjà ce qu’impliquent de telles attaques en termes de prise de risques et surcharge de travail pour les acheteurs hospitaliers : « Ressortir les gommes et les crayons et se taper les appels d’offres à la main ? C’est ce qui arrive de plus en plus fréquemment aux acheteurs hospitaliers» (relire "Cyberattaques : les acheteurs publics manquent d’assurance" (1/2) et (2/2) et "L'achat hospitalier lutte contre tous les virus !").

Au-delà de cette triste actualité, il faut, assurément rendre hommage aux "hospitaliers". Ils se réunissent ces jours-ci au Beffroi de Montrouge, pour les "Journées de l’achat hospitalier" organisées par le Résah (Réseau des Acheteurs Hospitaliers). Une 11e édition dont l’intitulé pointe leurs contraintes et leur engagement : "La nouvelle performance des achats hospitaliers – Comment concilier qualité, maîtrise des coûts, RSE, innovation et sécurisation des approvisionnements".
Rien que cela...

Leur tâche n’est en effet pas simple. Acheteurs publics d’abord, ils suivent aussi la "grande marche" vers l’achat public durable (relire "Le Resah pousse le secteur de la santé à acheter plus responsable" et "Le Resah se penche sur l’achat responsable") ... mais tout en gardant un œil sur le volet performance de l’acte d’achat.
 

De la performance

Ils sont en effet, comme tout acheteur, en quête de réduction des coûts, sans pour autant que leurs services « prescripteurs » ne soient particulièrement enclins à accepter des restrictions. Nous avons récemment braqué le projecteur sur les transports sanitaires. Désormais, la responsabilité du financement de l’ensemble des transports inter et intra hospitaliers appartient aux seuls établissements de santé et leur en fait supporter l’entière dépense. « Pour les acheteurs hospitaliers, l’optimisation des achats de transports sanitaires est un véritable casse-tête. Ils doivent en effet réaliser d’importants gains achat alors qu’ils n’ont la main ni sur les tarifs, ni sur les donneurs d’ordres : pour les médecins les prescriptions sont une “chasse gardée” » (relire "Peut-on optimiser les achats de transports sanitaires ?").

Il est vrai aussi que l’acheteur hospitalier n’échappe pas plus que leurs confrères au "contrôle de gestion des achats". Selon le Résah, le contrôle de gestion des achats est devenu une "fonction névralgique"... mais reste insuffisamment développée. Mais il relève que « Les achats hospitaliers se placent résolument sous le signe des 3 P, liés de manière consubstantielle : la professionnalisation, la performance et le pilotage» (relire "Le Resah fait l’apologie du contrôle de gestion des achats").

Le ciel est loin d’être dégagé. Pour Franck Guyot, coordinateur de la thématique achat au sein de l’Agence Régionale de Santé de la région Paca, l’inflation est partie pour durer. Et pour y faire face, le coordonnateur des achats de l’agence régionale de santé PACA attend une réponse… coordonnée. « L’inflation se généralise et va durer dans le temps. Pour y faire face, il faut une réponse européenne et une réponse de l’État afin de soutenir les activités. Seuls, isolés, cela ne sera pas tenable pour les groupements hospitaliers à qui on demande de réaliser des performances achat » (relire "Inflation et approvisionnement : les acheteurs sous pression (2/2)").


De l’approvisionnement « stratégique »

Ils sont particulièrement inquiets des problématiques d’approvisionnement, étant en première ligne impactés par le manque de matériel durant les crises covid (relire "Achat hospitalier : une commande publique "de guerre" face au Covid-19" et "Achat de masques : entre arnaques et piraterie"). Pourtant la situation perdure, avec de nouvelles pénuries annoncées, même sur des médicaments courants, comme le Doliprane. Situation d’autant plus intolérable que cette pénurie de médicaments n’est pas nouvelle. Elle pousse les acheteurs hospitaliers à des prises de risques : « Aujourd’hui, les pénuries de médicaments peuvent durer plusieurs mois et nous devons de plus en plus souvent lancer des marchés temporaires... dont la durée n’est pas prévisible » (relire "Pénurie de médicaments : acheter hors marché ?")

De fait, s’il faut envisager une relocalisation "stratégique" de certains produits, les médicaments sont certainement en tête de liste: « Les relocalisations doivent s’accompagner par une forme de protectionnisme comme peuvent le faire les États-Unis ou l’Asie en imposant certains segments d’achats comme "stratégiques » expliquait dans nos colonnes Franck Guyot (relire "Hôpitaux : après le Covid, acheter Français ? « Il est dommage qu’il ait fallu une crise sanitaire pour en arriver là »"). En prenant connaissance de l’instruction de la DGOS du 15 décembre 2021, le coordinateur régional de la thématique Achats de l’ARS PACA ne cache pas sa satisfaction. Même si le ministère de la Santé ouvre le parapluie en rappelant que « le droit de la commande publique interdit de s’engager à attribuer un marché à une entreprise en particulier au seul motif qu’elle s’implanterait en France », l’instruction ne laisse selon lui planer aucun doute : « Les pouvoirs publics souhaitent contribuer au développement des capacités de production européennes de masques sanitaires pour renforcer leur souveraineté et ainsi sécuriser durablement la chaîne d’approvisionnement… » (relire "Achats stratégiques : « Plus un Yuan pour Wuhan ! »".

Santé oblige, les enjeux sont parfois pondérées de façon spécifique : « Pendant la crise, le prix ne compte pas ; ce sont surtout les disponibilités et l’approvisionnement rapide qu’il faut prendre en compte » nous expliquait récemment Christophe Blanchard, directeur général adjoint du centre hospitalier de Mayotte (relire "Hôpitaux : après le Covid, acheter Français ? (2/2)
 

Des signes positifs

Lorsqu’on les interroge, les acheteurs des autres fonctions publiques louent donc la réactivité et la résistance au stress dont ont fait preuve les acheteurs hospitaliers, avons-nous récemment relevé. Grâce à (ou plutôt à cause de) la pandémie, des ponts ont d’ailleurs été lancés vers les acheteurs hospitaliers qui n’existaient pas auparavant. La crise sanitaire a contribué à placer les hospitaliers sur le devant de la scène et les échanges avec leurs collègues de la fonction publique d’État et les territoriaux sont aujourd’hui monnaie courante (relire " Une grande confrérie des acheteurs est-elle en train de voir (enfin) le jour ? ")

Par ailleurs, las acheteurs hospitaliers s’ouvrent aux entreprises par le partage d’expériences, afin d’aller chercher les solutions les plus durables Et se lancer vers l’économie de fonctionnalité : « il ne s’agit pas de dire de quoi nous avons besoin, mais d’exprimer le besoin et de laisser l’entreprise proposer une solution adaptée » (lire "Rencontres entre entreprises et établissements : le pari gagnant-gagnant de l’achat durable dans le milieu hospitalier").

Les acheteurs hospitaliers, des "super acheteurs publics" ?
En parcourant achatpublic.info, on est en droit de le penser....