Achat local : un projet de loi indigent... ou un fin calcul politique ?

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"Pour le journaliste, tout ce qui est probable est vrai"
Balzac


Prise au piège de la boulimie d’actualité ? Peut-être bien. Cette semaine, la rédaction d'achatpublic.info a mis la main sur la version bêta du projet de loi dit de "ré-industrialisation verte". Elle le suit, ce texte, depuis son annonce lors des vœux à Bercy de Bruno Le Maire le 5 janvier 2023. Le ministre avait alors indiqué « Nous voulons favoriser la commande publique nationale ».
 

Au quart de tour !

Il n’en fallait pas plus pour nous faire partir au quart de tour : mais comment donc ? Bercy semble donc prêt à assumer franchement une part de localisme dans l’achat public ? La France va se frotter à l'un des dogmes les plus puissants du droit de la commande publique, à savoir l’interdiction de critères géographiques ? Ce qui lui permettrait de cesser les contorsions pour valider l’achat local sans le dire (relire "Achat local : mise à jour des préconisations du Gouvernement" et "« Préférence locale » : les trucs et astuces du Gouvernement").
Aussitôt, « on gratte » un peu. On anticipe, pour connaître le possible contenu du volet commande publique du texte (relire "Projet de loi Industrialisation verte : quels impacts sur la commande publique ?" ).

Diable ! Décidemment, cela va être passionnant à suivre, d’autant que nombre d’élus n’attendent que cela. Le quidam hexagonal comprend mal que l’on ne favorise pas les entreprises françaises dans l’achat public, notamment depuis la catastrophe de l’approvisionnement des masques, la pénurie de certains médicaments et la hausse des prix des produits alimentaires (relire aussi ""Doudoune Gate" à Lyon : la responsabilité des acheteurs publics pointée" - "Les mascottes « Phryges » sont-elles françaises ?" et "Mascottes des JO 2024 fabriquées en chine : les explications du Gouvernement").
Ajoutez à cela la prise de conscience écologique et les effets de la mondialisation sur le climat : le rapport de force semble en faveur d’une poussée de l’achat local. Et le large appel aux contributions ne devrait que renforcer ce soutien (relire "Projet de loi "ré-industrialisation verte : "Nous avons besoin de vos idées ! ").

Assurément, on peut s’attendre à une percée, sous une forme mesurée de façon à ne pas enfreindre le droit communautaire, l'ajout une petite dose d’achat local dans la commande publique, percée étayée par des considérations de souveraineté (relire "Ré-industrialisation par la commande publique : les prises de position liminaires").
 

Tout ça pour ça ?

« Franchement, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent dans ce projet, en tout cas pour la partie commande publique » nous confie récemment un interlocuteur averti. Nous avons donc examiné dans le détail les quelques dispositions "Commande publique" dans cette première version du projet de loi (lire "Projet de loi "Ré-industrialisation verte" : les modifications du code de la commande publique à prévoir").

On y trouve d'abord des mesures qui ne font que renforcer l’esprit de la loi "Climat et résilience" : l'article L. 2152-7 du Code de la commande publique serait enrichi d’une phrase aux termes de laquelle rédigée : « L’offre économiquement la plus avantageuse est déterminée sur la base du prix ou du coût, selon une approche fondée sur le rapport coût-efficacité, et peut tenir compte du meilleur rapport qualité-prix, qui est évalué sur la base de critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. »
On y trouve aussi deux nouvelles interdictions de soumissionner relatives au respect des obligations de publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises et à l’obligation d’établir un bilan des émissions de gaz à effet de serre (BEGES).
On y trouve enfin une disposition étendant à tous les acheteurs publics l’obligation d’établissement d’un Spaser La question avait été évoquée à l’automne dernier (relire "Spaser : état des lieux en décembre 2022 ? Pas terrible !" et "L’achat public en « burn out » : entre assimilation et nouveauté de la règlementation").

Et voilà. C’est tout...
On est assez loin de nos extrapolations sur la fin d’une forme d’hypocrisie en matière d’achat local (relire "Achat local : et si on se parlait cash ? ").
 

Une approche politique ?

Il en faut plus qu’une « petite déception journalistique » pour nous faire cesser nos cogitations !
La procédure suivie pour l’adoption du la loi sur les retraites (vous voyez de quoi il s’agit ?) a amené le pouvoir exécutif à annoncer que, dans les mois à venir, il passerait moins par la loi. Vraiment ? Elaborons une hypothèse.

Proposer des dispositions pour le moins légères sur un texte dont l’objet est pourtant a priori consensuel, cela relève peut être d’un calcul assez fin. On l’a vu lors de la campagne pour l’élection présidentielle (relire "Adresses « commande publique » aux "12"") et en réalité à chaque élection (relire "Le grand jeu de la commande publique électoraliste est ouvert"), il n’y a aucune opposition forte au renforcement de l’achat local.

En présentant un projet de loi réduit, le Gouvernement pourrait ainsi se refaire une beauté démocratique et parlementaire en laissant députés et sénateurs adopter le nombre d’amendements nécessaires pour étoffer le texte, appuyés par les lobbys qui ne manqueront pas de se manifester.

Un espace de discussion pouvant, sur ce sujet, trouver une majorité consensuelle et, en tout cas, enrichir le texte. Bien joué ?