Le grand jeu de la commande publique électoraliste est ouvert

  • 06/05/2021
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"L'avenir, c'est la trahison des promesses"
Daniel Pennac


C’est parti ! La période de campagnes électorales débute et les formules rapides concernant la commande publique vont fuser tout au long des prochains mois, accrochées aux échéances à venir (départementales, régionales … et in fine présidentielle). La première identifiée par achatpublic.info émane de Nicolas Dupont-Aignan pour le journal "Entreprendre" : « je veux qu’il y ait 75 % de la commande publique qui soient réservés à des entreprises qui produisent en France (ce qui ne veut pas dire forcément des entreprises françaises) et dont 50 % pour des petites et moyennes entreprises ». 

Il ne faut pas être grand médium pour deviner quels seront les quatre pivots des petites phrases à venir. Le jeu, ce sera plutôt de départager, à chaque fois, les annonces et promesses relevant des intentions de "politiques de commande publique" des annonces "commande publique politicienne".
 

Case " Souveraineté nationale"

La pandémie a révélé un effet pervers de la mondialisation, avec un risque national s’agissant de certains approvisionnements stratégiques. Les acheteurs se sont très rapidement emparés de la question (relire "Recommandations pour une relocalisation de l'achat "stratégique" , "« Il est temps d’assurer une meilleure localisation d’achat »" et "Sécurité des approvisionnements : "encore une fois, c'est le bon sens qui prime""
Au niveau "acheteur", on cogite (relire "Le CNA milite pour la relocalisation des achats stratégiques") et des pistes d’amélioration sont d’ores et déjà proposées (relire "Astuces pour vérifier la supply chain des candidats à un marché public"). Au niveau politique, on découvre progressivement les secteurs sensibles dans lesquels cette souveraineté stratégique n’est pas assurée (relire "Marché des armes de petits calibres : quelle souveraineté nationale ? ") Et "au plus haut niveau de l’Etat ", selon la formule consacrée, on se penche sur la question (lire "Relocalisation des achats : le CNA reçu à l’Elysée").
Comme l’avait prédit dans nos colonnes Nicolas Charrel, « Nous devrons définir un achat public orienté vers l’approvisionnement et un dispositif « alternatif » à même de donner les moyens à toutes les autorités, quel que soit leur niveau, de gérer une crise ». Ainsi, la problématique de la souveraineté nationale, mise cruellement en évidence à l’occasion de la pandémie, redonne si ce n’est de la vertu, en tout cas de la vigueur, à la poussée localiste : le localisme ne sera peut-être plus perçu comme une mesure protectionniste en vue de favoriser des acteurs locaux » (relire "« La commande publique devra changer de cadre de référence »").
 

Case "Achat local"

L’achat local, c’est l’antienne de tout élu "de terrain" et se pare aisément des vertus du bons sens et de l’évidence. La petite phrase de Nicolas Dupont-Aignan ne brille pourtant pas son originalité. Il est même moins exigeant qu’un candidat aux précédentes élections présidentielles et ancien ministre du redressement productif : lui proposait de fixer un quota de 80 % de marchés publics réservés aux PME françaises (relire "Non, la commande publique n’est pas un jouet !").

Les élus locaux s’engouffrent dans l’achat local avec naturel. Ne les appelle-t-on tout pas les "élus de proximité", ou élus "à portée de baffes" ? Avec une commande publique portée par le bloc local (relire "Baromètre de la commande publique en 2020 : « un impact très fort »… à la baisse") et un œil rivé sur leurs finances (relire "Restauration scolaire et loi Egalim : une enquête de l’AMF" et "Contrats de relance et de transition écologique : l’AMF pas contente"), ils s’affichent comme les premiers soutiens de l’économie locale, même (voire surtout), en temps de crise (lire "2021 : les collectivités locales continueront à jouer la carte "commande publique").
Ils assument leur demande d’instauration de critères géographique locaux (relire "Les maires plaident pour le critère géographique...même "temporairement""). Une demande relayée, mais pour l'heure sans succès, par le Sénat (relire "Une énième modification du code de la commande publique à venir ?" et "Une proposition de loi sénatoriale pour « relocaliser » la commande publique"). En fait, les élus locaux demandent quasiment une mise à plat de la commande publique locale, fondée notamment sur des "plans de relocalisation" (relire "L’ADCF demande un « Grenelle de la commande publique »"). Pour l'heure, le Gouvernement répond surtout pas la délivrance de "trucs et astuces" (relire "Achat local : mise à jour des préconisations du Gouvernement").
Revoir "au local" la gouvernance, c’est donc le 3e pivot des prochaines campagnes électorales.
 

Case "Simplification" (lire "Assouplissement")

En attaquant cette recentralisation, les élus locaux critiquent surtout la complexité et l'inadaptation de règles décidées d'en haut (relire "La commande publique locale victime collatérale de la recentralisation ?").
Lors du Congrès des maires édition 2020, AMF fustigeait une « recentralisation galopante », que la gestion de la crise a mise particulièrement en évidence. Dans nos colonnes, Pierre Le Goff, maire de Guimaëc, cadre territorial en charge des achats et des marchés publics à la ville de Lannion mais aussi correspondant marchés publics au sein de l’AMF, déclarait : « cette crise révèle les problèmes de centralisation dont souffre la France. La décision de tout arrêter tombe du haut… mais sans aucun accompagnement ou consigne. Personne ne sait trop comment réagir… L’hypercentralisation casse l’initiative. S’agissant des masques, on voit bien que les communes sont, elles, en mesure de réagir assez vite, en vertu du bon sens» (relire "D'Est en Ouest, les acheteurs publics tiennent la barre [Cash Interview]"). Le procès fait à la gestion étatique s’appuie sur un constat : « le bloc local a bien mieux géré la crise que l’Etat » ; et une conclusion : « Les mesures étatiques unilatérales sont la cause et la preuve de la mauvaise gestion de l’Etat : sans les maires et la territorialisation, c’est l’échec assuré » (François Baroin, président de l’AMF).

Trop compliquée, la commande publique concoctée par l’Etat ? En guise de réponse, celui-ci promet l'"assouplissement du code de la commande publique". Le levier ? Les seuils (relire "A vos seuils, prêts… ?") et les délais de paiement (relire "La flambée du cours des matières premières mènera-t-elle vers de nouveaux assouplissements du code de la commande publique ?"). En tout cas, le message est entendu "en haut" (relire "Nous irons vers davantage de simplification").
 

Case "Achat durable et ESS"

C’est le 4e pilier des annonces électorales, fortement marqué par la Convention citoyenne pour le climat et son dérivé législatif, le projet de loi "Résilience et climat" et son emblématique clause environnementale obligatoire pour tous les contrats publics. Il se fonde sur un constat : l’environnement tient une place importante parmi les préoccupations des citoyens, auxquels il serait peut être alors bon de laisser une part d'initiative normative.
Au niveau local, on observe comment les élus "verts" gèrent leur commande publique (relire "A Bordeaux, mairie et métropole mettent au point leur ligne verte" et " [Interview] Vers une politique d’achat vert à Lyon").Certaines collectivitités locales s’essayent au à la commande publique participative (relire "A Dreux, une « CAO participative »"). Et les certaines association lancent leurs appels aux candidats (relire "ESS : l’UDES joue la carte des élections pour renforcer la commande publique sociale et solidaire"). Là encore, le gouvernement indique avoir entendu le message (relire "Une mission parlementaire pour rendre les acheteurs publics plus responsables").

Voici donc la grille de lecture que nous vous proposons pour les campagnes électorales. Le principe de ce jeu, entre Petits chevaux, Jeu de l'oie, et mots fléchés : à chaque petite phrase estampillée commande publique, cochez l'item qui vous semble approprié.
Attention, plusieurs réponses sont possibles !

Jean-Marc Joannès