La longue marche de la commande publique sociale

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"Dans le domaine social comme dans la vie privée, il faut tout prendre avec calme, générosité, et un petit sourire aux lèvres"
Rosa Luxemburg


On discute régulièrement, et à vrai dire souvent pour s’en alarmer, des multiples objectifs assignés à la commande publique, un peu décontenancé pour cette orientation de l’achat public vers le "durable". "Décontenancé", parce qu’il est plus intuitif de considérer la réglementation de l’achat public comme un corpus normatif destiné à assurer l’efficacité de la dépense publique en toute transparence.
 

Achat public "tactique" et "stratégique"

Lorsque l’on s’interroge sur la portée de la réforme du régime des ordonnateurs et comptable (lire "[Interview] Olivier Fréel : La réforme ordonnateur/comptable ? Attendue, réclamée, et indispensable !»" et relire "La réforme ordonnateur/comptable vue par la Cour des comptes"), on reste dans le cadre des conditions d’exercice et de contrôle d’une mission.

Lorsqu’on passe au banc d’essai le dispositif de reconstruction en urgence de bâtiment publics, lui-même passé en urgence (lire "Reconstruction en urgence : la nouvelle procédure de passation de la commande publique" et relire "Emeutes urbaines : vers des conflits entre maîtres d’ouvrage et entrepreneurs ?"), on reste aussi dans les conditions d’exercice de nouveaux objectifs d’ordre « tactique » : précis et limités à un objet bien déterminé.

En revanche, quand on se penche sur l’achat durable, on entre dans une dimension stratégique, avec des résultats loin de pouvoir être mesurés précisément et rapidement...
 

L’efficacité, vaste programme !

Tout dépend en réalité de la portée que l’on donne au terme « efficacité de la dépense publique ». Un concept désormais parfaitement intégré par les acheteurs publics : non, la commande publique ne se résume pas au respect des procédures de passation. On trouve désormais une dimension "objectifs" dans la conception nouvelle de l’efficacité.
Ce qui procure à la commande publique une dimension politique : le soutien de l’économie et des entreprises en temps de crise, avec une approche « quoi qu’il en coûte » n’est plus perçu, voire contesté, comme une extension dangereuse du principe de bonne gestion de des deniers publics.
Cela étant, l'extension de l’approche politique de l’achat public est bien une réalité, ne serait-ce qu’en examinant l’évolution et les avatars de la notion de souveraineté (lire la tribune de Sébastien Taupiac "Achat public : la France, nouveau moteur d’une Europe en panne de souveraineté").
 

Toujours plus ... et mieux !

L’achat public durable n’est donc plus, du fait de cette évolution politique de la commande publique, un vœu pieu. « Pas d’achat public efficace sans achat public durable ; pas d'achat public efficace qui ne soit durable», c’est ainsi le crédo des Trophées de la commande publique, donc la nouvelle édition est en cours (lire ""To do list" de rentrée 2023... pensez "Trophées de la commande publique" !" et relire "TCP 2023 : devenir acteur de l’achat durable en rejoignant la Communauté des acheteurs").
L’achat public durable, ses objectifs parfois indirects et difficiles à mesurer, suscite, et c’est une bonne chose, des attentes. On cherche déjà à l’évaluer, voire à en améliorer l’efficacité (relire "Loi AGEC : un dispositif en cours d'amélioration").

Il y aurait même comme une forme d’impatience. Et de façon assez surprenante, c’est le juge financier qui aiguillonne particulièrement les acheteurs publics.

A compter d’août 2026 (c’est demain !) l'obligation issue de la loi "Climat & Résilience" de prendre en compte des considérations environnementales et sociales dans les contrats de la commande publique entrera en vigueur. Mais cette échéance pourrait être avancée. Non pas par la volonté du législateur, mais sous la pression des chambres régionales des comptes (relire "Loi "Climat et Résilience" : et si c’était pour maintenant ?").

Un juge financier tellement préoccupé par le « durable », qu’il avance à grands pas. Alors qu’en décembre 2023, la CRC Auvergne-Rhône-Alpes se montrait prudente (relire "Un critère développement durable… si le marché s’y prête !") en juin dernier, elle voit, avec l’adoption de la loi "Climat & Résilience", l’émergence d’un autre grand principe de la commande publique : la protection de l’environnement : « La protection [de l’environnement doit] à terme devenir un principe fondamental de la commande publique, au même titre que l’obligation de mise en concurrence, l'égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures » (relire "La protection de l’environnement : le 4ème grand principe de la commande publique ?").
 

Durable, donc sociale

Le pari de l’achat durable semble donc en voie d’être gagné. Pas assez rapidement, peut-être ; avec un risque de complexification, sans doute.
Reste à savoir si, stratégiquement, c’est-à-dire à long terme et dans toute son envergure, il tiendra toutes ses promesses. Lors du lancement du Plan national pour des achats durables (PNAD) achatpublic.info avait titillé Thomas Lesueur, en lui demandant si le volet social de l’achat durable n’était pas le parent pauvre du PNAD. Une assertion démentie par le Commissaire général au développement durable au sein de ministère de la Transition écologique : « la mise en œuvre de clause sociale n’obéit ni aux mêmes objectifs [que les clauses environnementales], ni au même tempo » (revoir "achatpublic invite… Thomas Lesueur").
Il n’empêche, en matière de commande publique sociale, là aussi, une forme d’impatience se fait sentir.

Il y a un an, la DAJ publiait une nouvelle édition de son guide sur les aspects sociaux de la commande publique (relire "Publication du nouveau guide de la DAJ sur les aspects sociaux de la commande publique"). Et donc, nous tentons là encore de faire un point fixe (lire "Considérations sociales dans les marchés publics: deux ans après la loi Climat & Résilience, où en est-on ?"). « Le dispositif de la clause d’insertion des publics éloignés de l’emploi est un succès » écrivons-nous cette semaine. Mais nous minorons aussi tôt : l’objectif de diversification de la clause d’insertion n’est pas atteint, « l’usage de critères d’attribution ayant pour objet une considération sociale est encore une pratique peu répandue », et « certaines zones territoriales manquent encore de facilitateurs de la clause sociale » (relire aussi "Un appel à projets pour faire décoller les clauses sociales dans les marchés de l’Etat" et "Le facilitateur de clauses sociales, un faiseur de rencontres").
 

Un juge financier déconstruit ?

Mais que l’on se rassure : le juge financier, encore lui, est là pour aiguillonner aussi en matière sociale (lire "La Cour des comptes fait le point sur les entreprises adaptées"). La Cour des comptes, qui s’en prend au législateur : « l’absence d’une rédaction plus explicite ouvre la porte à une concurrence entre les deux secteurs qui bénéficiaient jusqu’ici de dispositifs de marchés réservés distincts » ; « le développement de la commande publique dans le chiffre d’affaires des entreprises adaptées n’a de sens que s’il ne se fait pas aux dépens d’autres publics prioritaires des politiques d’insertion professionnelle ».

Le juge financier qui tance le Gouvernement sur ses erreurs en matière de réglementation sociale...
Ne serait-ce pas une forme surprenante de « déconstruction » ?