Légèrement affaissé façon Tour de Pise au-dessus du clavier, l’épigastre mis à rude épreuve pour rétablir un fragile équilibre, Adhémar Chaidetravot, dont seul le bras droit gélatineux tremblote nerveusement à force de vouloir maîtriser une souris récalcitrante, fixe, prostré, son écran d’ordinateur depuis déjà plus d’une demi-heure. A tel point que son voisin de la direction des achats du département de Vésubie-Inférieure, Alfonso Cissonage, chargé du recensement des besoins et de la computation, s’émeut, supputant que l’infortuné collègue souffrirait peut-être de nycturies transformant son sommeil en hachis parmentier. « Adhé, t’as des pouvoirs gnosiques ou t’es sorti du lit enchifrené ? », balance-t-il sans autre forme de procès, estimant que seule la manière forte pouvait sortir l’agent territorial de cette inquiétante léthargie. « Nan, grommelle l’interpellé, je me concentre. Après avoir tenté de comprendre la distinction entre biens de reprise, biens de retour et biens propres dans le cadre d’une DSP (lire notre article), j’essaie de saisir les subtilités tarabiscotées du référé contractuel (lire notre chronique). Après j’ai prévu de m’intéresser à cette procédure sortant de l’ordinaire - un accord-cadre de maîtrise d’œuvre passé en concours - imaginée par un bailleur social Logemloiret » (lire notre article). Hochant sa tête dolichocéphale, Alfonso Cissonage, l’humeur badine, saute sur l’occasion d’entamer une conversation susceptible d’être un dérivatif au remplissage fastidieux de tableurs qui l’occupe depuis des semaines : « T’as bien raison de mettre tes bases de données à jour. S’amuser à conclure un contrat avant le délai de stand still, ça peut coûter bonbon, jusqu’à 20 000 euros, aux dernières nouvelles du Conseil d’Etat (lire notre info). » Le silence de mort qui s’ensuit ne le décourage pas. « Dis donc, l’ordi sur lequel tu uses tes cornées, c’est pas la marque de la société asiatique soupçonnée d’espionnage par l’Europe et qui pourrait être écartée des appels d’offres ? (lire notre article) Attends deux secondes,  j’interroge la base fournisseurs… La vache, elle nous fournit nos tablettes, nos téléphones et aussi le cloud… »  Bon allez, j’arrête de faire le zoïle. Comme le dit ce proverbe chinois : « l'oiseau choisit l'arbre sur lequel il veut se reposer, mais l'arbre ne peut choisir l'oiseau. » A la semaine prochaine, peut-être. 

Jean-Marc Binot