Avant, pendant, après… des trous dans la raquette "commande publique"

  • 08/04/2021
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"Pour ce qui est de l'avenir, il ne s'agit pas de le prévoir,
mais de le rendre possible
"
Antoine de Saint-Exupéry *


Bien souvent, nous nous faisons le relai des acheteurs publics confrontés à l’inflation normative. Bien souvent, ce qui remonte, c’est que la sur-production normative se révèle inapplicable : soit trop complexe ; soit éloignée des réalités du terrain (relire notamment "Réglementation de la commande publique : n’en jetez plus !").

Le projet de loi "climat et résilience" est l’archétype de ce que redoutent les praticiens de l’achat public. D'abord par son origine : c’est la "Convention citoyenne pour le climat" qui a posé, certainement en toute bonne foi, ces jalons que le président de la République s’était engagé à reprendre (relire "Commande publique : pourquoi ils ont réinventé l’eau tiède"). Avec une mesure phare : la clause environnementale obligatoire, qui devrait de facto mettre fin au critère unique du prix (relire "Projet de loi Climat et résilience : et donc, la fin du critère unique du prix"). Sur le papier (ou plutôt "dans l’absolu"), c’est bien, c’est beau... pourrait-il en être autrement, avec le recours mot-clé du moment : "résilience" ?
- Soyons taquins : il manque "innovation", "participative", "citoyenne" "Innovante" et "vivre ensemble"...
- Soyons très taquins : à quand un projet de "loi relative à la commande publique résiliente de l'innovation citoyenne au service du vivre ensemble" ? 
 

"L'intendance réglementaire suivra"

Plus sérieusement, au-delà des objectifs, c'est de la mise en oeuvre pratique que naissent les inquiétudes (relire notamment "Une clause environnementale obligatoire ? C’est risqué, de vouloir inscrire une pétition de principe dans le code !" et "Il ne faut pas que la mise en place d’une clause environnementale devienne un « casse-tête » pour l’acheteur"). Un peu comme si le législateur, quel qu'il soit, avait pour redoutable devise : "l'intendance réglementaire suivra". Tiens, au fait... on attend toujours le décret "intérêt général" (relire "Seuils : Zapper le mécanisme de seuil au profit de la notion d’intérêt général ? Ça réagit !") ...
Parce que la grande crainte, c’est qu’à partir d’une belle idée, tout dérape, par méconnaissance de la commande publique : « Il est totalement irréaliste d’opposer le volet économique à celui environnemental dans la commande publique », alors que « Le vrai combat pour la protection de la planète est d’imposer dans la commande publique la prise en compte du coût global ou cycle de vie à la place du critère "prix"» tonitruait récemment Jérôme Michon dans nos colonnes (relire "Une clause environnementale obligatoire ? Quand on veut faire bouger les lignes, encore faut-il le faire de manière efficiente").
Alors, pour aller plus loin, éviter les surprises et crispations, pourquoi pas ne pas agir en amont et "déminer le terrain" ?
 

Lobbying

Certes, la DAJ se dit « très satisfaite », par exemple, de la concertation menée sur les projets de CCAG 2021. Vraiment ? elle a reçu 120 réponses… Alors s'agissant d'un projet de loi aussi lourd que "Climat et résilience", et dont les initiateurs sont des citoyens... mieux vaut anticiper autant que possible les questions pratiques de mise en oeuvre, et corriger le tir pendant l'examen parlementaire.
Cette semaine, nous avons donc observé le lobbying, au sens noble du terme, de France Urbaine. Une façon de se plonger dans "la fabrique de la loi".  Il s’agissait pour l’association de corriger les "imprécisions" avant même que le texte n’acquiert une valeur normative, en faisant passer quelques amendements bien sentis. Un travail préventif, en quelque sorte, qui porte sur le seul article 15 du projet de loi, celui sur la clause environnementale obligatoire pour tous les marchés publics.
France Urbaine a donc déployé donc ses propositions d’amendements tendant à préciser la prise en considération de l’environnement en matière de marché de prestations intellectuelles et pour faciliter une appréciation "au cas par cas" (lire "Dérèglement climatique et commande publique : France Urbaine à la manœuvre (1/2)"). Comme le relatent nos deux articles, « Certains sont passés, d’autres non
 

Un trou dans la raquette

Second axe développé par France Urbaine : les concessions. « Un sacré trou dans la raquette ! » : les délégations de service public et les concessions étaient les grandes oubliées du projet de loi. Ce que France Urbaine, avec d'autres, ne comprenait vraiment pas : « les délégations de service représenteraient 120 milliards d’euros quand les marchés contractualisés n’en pèsent “que” quatre-vingt ». Même le Conseil d’Etat s’était dit troublé de cet oubli (relire "PJL « Climat et résilience » et commande publique : les mises en garde du Conseil d’Etat"). Un oubli volontaire ? On ne peut rien affirmer, mais… « Concessions ou régie ? Ce débat est politique. Politique, terriblement clivant... et hypersensible ».

Politique ou politicien ? Certains voient par exemple d’un très bon œil le principe du retour en régie des services de distribution d’eau. D’autres relèvent, eux, que les réseaux d’eau sont dans un état calamiteux ; ils nécessiteront des travaux de remise en état d’un coût tellement élevé qu'il vaut mieux que ce soient les collectivités publiques qui les assument. Là, on est loin d’un débat d’ordre politique…
Sans aucun doute, les citoyens de la Convention pour le climat ne sont pas entrés dans ce type de considérations "politiciennes", puisque par définition, ils ont été missionnés par le Président pour réfléchir au-delà des clivages…

France Urbaine et l'Institut national de l’économie circulaire ont donc milité donc pour la prise en compte des conditions relatives à l’environnement dans les conditions d’exécution des contrats de concession (lire "Dérèglement climatique et commande publique : France Urbaine à la manœuvre (2/2)"). Cette fois, c'est passé : l'amendement 6511 a été adopté le 6 avril. Il prévoit  que « Pour les contrats de concession qui ne sont pas des contrats de concession de défense ou de sécurité, les conditions d’exécution du contrat prennent en compte des considérations relatives à l’environnement.» et que « Pour les contrats de concession qui ne sont pas des contrats de concession de défense ou de sécurité, au moins un de ces critères prend en compte les caractéristiques environnementales de l’offre. »

Corrections à la source

Une telle "action préventive" à ce stade couronnée de succès. En tant qu’acheteur, le principe de correction constitue certainement un gain de temps et d’énergie. 

Prenons l’exemple des CCAG 2021. achatpublic.info y consacre son nouveau dossier «Appropriez-vous les CCAG 2021 ! ». Un dossier qui ne devrait cesser d'enfler : à peine les nouveaux CCAG sont-ils publiés qu’ils passent au banc d’essai. D’abord, bien sûr, le "petit nouveau", le CCAG Maîtrise d’œuvre (lire "Le CCAG Maîtrise d’œuvre est la grande nouveauté de cette réforme"). C'est aussi l’esprit général de la réforme est jaugé (lire la tribune de Kévin Holterbach "Les nouveaux CCAG garantissent-ils un achat public environnementalement responsable ?" et la tribune d’Emeline Vandeven "L’open data, grande absente des CCAG révisés !").

Avant, pendant et après, les acheteurs publics auront toujours leur mot à dire.

 
Jean-Marc Joannès
(* oui...  je fais partie de ceux que l’aviation fait rêver !)