Non, la commande publique n’est pas un jouet !

  • 03/05/2019
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Bis repetita ! Un candidat tête de liste pour les élections européennes  s’aventure dans les vastes terres de la commande publique. « Je suis favorable à ce qu’au moins dans les marchés publics, nous puissions instituer une clause de proximité. Il devrait être possible de choisir de privilégier les entreprises qui produisent en France ! ». Et, poussant un peu plus encore : « idem dans les cantines scolaires où on ne peut pas privilégier des produits alimentaires issus d’exploitations à proximité du lieu où ils vont être mangés, ce qui est absurde ». Le discours comme la méthode ne sont pas nouveaux.

Surenchères électoralistes

« Après ce genre de discours dans les médias, mes collègues des autres services viennent me voir en me disant : alors, qu’est que tu racontes ? Tu fais ta juriste !

Les gesticulations politico-médiatiques se suivent et se ressemblent. La crise agricole de 2015 avait permis à certains de claironner cette injonction « achetons français » ! Les collectivités locales françaises étaient alors instamment priées, en matière de restauration collective, de favoriser les producteurs locaux (lire notre article ci-après). C’est alors qu’émergent les notions de « souveraineté alimentaire » et d’« achat patriotique ». ll est vrai que quelques semaines auparavant, un ministre du « redressement productif » prenait la posture du « made in France », coûte que coûte. Candidat ensuite à une élection présidentielle, il propose même de fixer un quota de 80 % de marchés publics réservés aux PME françaises. Des exhortations qui sonnent bien, électoralement. On ne peut cependant s’empêcher de penser que leur auteur savait pertinemment que juridiquement, elles ne tenaient pas…
Surtout, imagine-t-on les conséquences de tels propos, dans les services, pour les acheteurs publics ? Prenons le témoignage de cette acheteuse publique (nous ne lui en voudrons pas de vouloir conserver son anonymat) : « après ce genre de discours dans les médias, mes collègues des autres services viennent me voir en me disant : alors, qu’est que tu racontes ? Tu fais ta juriste ! Pire encore : j’étais présente quand mon élu, en réunion publique, assurait que désormais, sous son mandat, tous les marchés publics seraient attribués aux entreprises du coin. Comment rester crédible ? » Faut-il cependant en vouloir aux seuls politiques  ?

Protectionnisme

L’Union européenne semble avoir des difficultés à faire valoir une clause de réciprocité

Notre droit des marchés publics a bien instauré une forme de protectionnisme européen. Les acheteurs peuvent prévoir des critères ou restrictions fondés sur l’origine des produits ou la nationalité des candidats, si ces derniers viennent de pays où aucune réciprocité des grands principes européens de la commande publique n’existe (article 2 de l’ordonnance de 2015 et Code de la commande publique, article L. 2153-1). Il est alors d'autant plus étonnant que l’Union européenne semble rencontrer des difficultés à vouloir mettre en oeuvre cette réciprocité (lire notre article).

Loi d’exception

Et puisqu’on regrette une forme de déshérence dans la défense du droit de la commande publique, notons aussi que le Conseil d’Etat, dans son avis (avis n° 397683 ci-joint) du 23 avril 2019 sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances des mesures d’urgences pour la restauration de notre Dame-de-Paris (qui devrait être présenté le 10 mai à l'Assemblée nationale) ne s’émeut pas plus que cela non plus. Globalement, le projet de loi présente à ses yeux un intérêt général suffisant pour justifier certaines dérogations au droit commun. Il regrette "juste" que l’étude d‘impact du projet ne comporte aucune mention de l’habilitation à déroger à certaines règles en matière de commande publique. Elle « doit donc encore être complétée sur ce point »…

La commande publique est-elle une chose décidemment trop sérieuse pour la laisser aux mains d’autres que les acheteurs publics ?
Jean-Marc Joannès