Vous avez dit « Assouplir la commande publique » ?

  • 27/05/2021
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« L'expérience prouve que celui qui n'a jamais confiance en personne ne sera jamais déçu »
Léonard De Vinci



Il a failli passer inaperçu, ce décret publié au Journal officiel du 22 mai 2021. A priori, aucune urgence, car il n’entrera en vigueur que dans six mois. Et puis, son enjeu n’est pas décisif : le 1er novembre 2021, le pouvoir adjudicateur ne pourra plus exiger que l’entreprise attributaire produise le Kbis pour justifier qu’elle ne fait pas l’objet d’une procédure collective (lire "1er novembre 2021 : exit le Kbis !").

Mais bon, un rien peut susciter la réflexion et aucun texte n’est véritablement déconnecté d’une tendance. De quoi s’agit-il ? Le 1er novembre 2021, donc, il faudra lire l’actuel article R. 2143-9 du Code de la commande publique ainsi : "Afin de prouver qu'il ne se trouve pas dans un des cas d'exclusion mentionné à l'article L. 2141-3, le candidat produit son numéro unique d'identification permettant à l'acheteur d'accéder aux informations pertinentes par le biais d'un système électronique mentionné au 1° de l'article R. 2143-13". En clair, le n° INSEE remplace la demande de Kbis. Au nom de la simplification. Et oui, toutes les mesures prises récemment ont pour objectif d’instiller de la souplesse dans les rouages de l’achat public.
 

Simplification ou… dérèglementation ?

Ce serait pourtant faire injure au législateur que de considérer que la demande d’extrait de Kbis correspondait au seul souci de compliquer la vie des entreprises candidates. Il s’agissait bien pour l’acheteur de s’assurer que l’entreprise attributaire présentait toutes les garanties pour assurer l’exécution du marché. Oui mais, entretemps, la commande publique est devenue un levier au service de l’économie et, plus encore actuellement, au soutien des entreprises (relire "L'ordonnance Covid-19 est résolument tournée vers les intérêts des entreprises").
Certes, il faut raisonnablement s’attendre à ce que de nombreuses entreprises titulaires de contrats de la commande publique se trouvent en difficulté et que l’acheteur public, « en toute bienveillance, mais aussi dans l’intérêt de l’exécution du contrat » se montre en mesure de réagir et d’anticiper (relire "Covid-19 - Défaillance du cocontractant : que faire ?").

Anticiper, aussi, leurs difficultés à venir. C’est le sens des appels du Gouvernement pour se montrer souple en cas de pénurie ou de difficultés d’approvisionnement (relire "Pénurie de matières premières : le Gouvernement en appelle aux acheteurs publics"). De ce coté-là, aucune surprise : Jean Castex, lors des Rencontres des entrepreneurs de France organisées par le Medef le 26 août dernier, et s’agissant (entre autres) de la commande publique, avait annoncé le programme : « les mesures de simplification introduites par ordonnances seront prolongées, amplifiées et si possible pérennisées » (relire "Nous irons vers davantage de simplification"). L’annonce de la poursuite des mesures d’assouplissement est confirmée (relire "La flambée du cours des matières premières mènera-t-elle vers de nouveaux assouplissements du code de la commande publique ?").
 
Il y a un an aussi, nous nous amusions à décrire la "nouvelle" cette commande publique, placée sous le signe de la "bienveillance" : « Après le "choc", après la "désorganisation", puis la "résilience" des services Achat, après la mise en place d’un arsenal juridique (au pas de charge et à grand coups d’ordonnances), il semble désormais que l’économie ne sortira pas de la crise sans une bonne dose de bienveillance. Fini le "Prenez-soin de vous" affiché à l’entrée de nombreuses entreprises, le climat vire au "Faites donc attention aux autres" » (relire "Juridique, économique… et bientôt « bienveillante », voici la nouvelle commande publique !").
 

Transfert de risques

Faciliter l’accès des entreprises à la commande publique ne peut-il se faire qu’en faisant porter le risque aux acheteurs publics ? Le "risque" de l’entreprise défaillante existe. Avant la crise, nous avions enquêté sur les possibilités qu’offre le code de donner suite aux méfiances de l’acheteur au regard d’une entreprise candidate, avec les "exclusions à l’appréciation de l’acheteur" (relire "Comment écarter un ex défaillant ? (1/2) La recette du Code de la commande publique" et "Comment écarter un ex défaillant ? (2/2) L’art et la manière").
« L’idée de ne pas retravailler avec quelqu’un avec qui l’on a déjà eu des difficultés très importantes » semble ces temps cis-devoir etre mise de coté : « avec les nouvelles dispositions, le législateur a souhaité soutenir les entreprises en redressement judiciaire en garantissant leur accès à la commande publique et le maintien de leur activité » (relire "Entreprise en difficulté : une séparation désormais interdite pour l’acheteur ?").


L’intérêt général… quoi qu’il en coûte

Le soutien aux entreprises « quoi qu’il en coûte » repose sur 2 axiomes : 
  1. la commande publique est par essence « politique » : c’est l’affection des deniers publics pour répondre à un besoin. Alors, si le politique décide que le besoin est de soutenir les entreprises…
  2.  il y a urgence, ce qui justifie presque tout. On retiendra par exemple l’explication de Cédric O au sujet de l’enquête ouverte par le Parquet national financier sur les marchés de maintenance de l’application tousanticovid : « ll s'agit d’un projet souverain, qui ne dépend pas d’Apple, ni de Google. Le seul intérêt poursuivi a été l’intérêt général. Je ne vais pas m’excuser d’avoir déployé StopCovid ! » (lire "Tousanticovid : le PNF saisi pour absence de mise en concurrence").

Mais admettons… Il semble aussi que cette orientation de la commande publique porte ses fruits (lire "La commande publique rebondit" et relire " 2021 : les collectivités locales continueront à jouer la carte "commande publique"").
Actualisons donc sans vergogne les principes fondamentaux de la commande publique : "Transparence", "Egalité de traitement", "Mise en concurrence"… et "Soutien aux entreprises".
 
Jean-Marc Joannès