Covid-19 - Défaillance du cocontractant : que faire ?

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Les mesures prises pour lutter contre la pandémie ne seront certainement pas sans conséquence sur le tissu économique. Il faut donc raisonnablement s’attendre à ce que de nombreuses entreprises titulaires de contrats de la commande publique se trouvent en difficulté . Selon Kévin Holterbach (Avocat au Barreau de Lille) il convient d’anticiper au mieux la défaillance de son cocontractant et de savoir comment y réagir.

Selon les prévisions de la Coface en date du 6 avril, dans le cas du scénario central, à savoir un confinement prenant fin au deuxième trimestre en Europe et aux Etats-Unis, accompagné d’une reprise prudente de l’activité des entreprises et de la consommation et en l’absence de deuxième vague épidémique, on anticipe une augmentation du nombre de défaillance des entreprises de +25 % au niveau mondial. Pour la France, cette hausse serait de l’ordre de +15 %, soit un nombre de défaillances entre 57 000 et 58 000 sur l’année (Selon Julien Marcilly, chef économiste de la Coface, qui rappelle qu’en 2009, ce nombre avait été de 63 000).
Malgré les diverses mesures gouvernementales d’aide aux entreprises, il faut s’attendre à de nombreuses défaillances d’entreprises titulaires de contrats de la commande publique. La plupart des sociétés titulaires d’un tel contrat ne manqueront pas d’avertir leur cocontractant public de l’existence de difficultés financières afin, éventuellement, de trouver une solution contractuelle (par exemple, par la conclusion d’un avenant modifiant les conditions de versement de la rémunération, ou par l’abandon de pénalités). Toutefois, dans un tel cas, mieux vaut ne pas se faire surprendre : il convient donc d’anticiper au mieux la défaillance de son cocontractant et de savoir comment réagir face à une telle défaillance.
 

Anticiper


En tout premier lieu, il faut procéder à l’inventaire des dossiers potentiellement « à risque », c’est-à-dire ceux dans lesquels l’administration (terme générique utilisé à dessein pour recouvrer un maximum d’hypothèses) pourrait être créditrice de son cocontractant privé. Il en va ainsi, notamment, des cas dans lesquels la défaillance du cocontractant, en cours de contrat, pourrait causer un préjudice financier important à l’administration.
Par exemple :

o Les contrats en cours, pour lesquels la passation d’un marché de substitution causerait un surcoût important à l’administration. Il est intéressant de garder à l’esprit ici que l’article 6-2° de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 n’exclut la possibilité d’exécuter le marché de substitution aux frais et risques du titulaire que si ce dernier démontre « qu'il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive », cette dernière notion n’étant, par ailleurs, définie par aucun texte. Ainsi, si le cocontractant privé échoue à convaincre dans cette démonstration, le surcoût causé par la conclusion du contrat de substitution pourra être mis à sa charge ;

o Des marchés « à prix forfaitaire dont l'exécution est en cours » et pour lesquels l’acheteur doit procéder « sans délai au règlement selon les modalités et pour les montants prévus par le contrat » même en l’absence de service fait, charge pour l’acheteur, par après, d’obtenir le remboursement du trop-versé (cf. art. 6-4° de l’Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020).L’administration va donc, dans cette situation, verser à son cocontractant une rémunération, pour des prestations non réalisées. Si une procédure collective est ouverte à l’encontre du cocontractant, avant que ce dernier ait pu réaliser la prestation correspondant à la rémunération, il pourra, selon les cas, être difficile de récupérer les sommes ainsi trop-versées ;

o Il en va de même, s’agissant de l’occupant domanial qui ferait l’objet d’une procédure collective après avoir bénéficié d’une période de suspension du versement de la redevance, prévue par l’article 20 de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, modifiant l’article 6 de l'Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 ; 

o Des marchés arrivés au stade de la procédure d’établissement des comptes, pour lesquels le décompte est pressenti pour être créditeur en faveur de l’acheteur (cela peut être le cas, notamment, en cas d’application de pénalités contractuelles). Rappelons, là encore, que l’ordonnance précitée n’exclut l’application de pénalités qu’en cas de démonstration, rapportée par le cocontractant, qu’il ne dispose pas des moyens suffisants pour exécuter le contrat dans les délais ou que l’exécution de celui-ci, dans les délais contractuels requis, ferait peser sur lui une charge « manifestement excessive ».

 L’absence dépôt des comptes annuels et des documents connexes au BODACC  peut constituer une première alerte


Pour ces dossiers, il convient donc d’adopter une démarche proactive, en surveillant étroitement et régulièrement les informations disponibles sur la santé financière des cocontractants. Ainsi, par exemple, les sociétés commerciales ont une obligation de dépôt de leurs comptes, lesquels sont consultables auprès des greffes des Tribunaux de Commerce dont ils dépendent, sauf si la société entre dans un cas lui permettant de bénéficier de la confidentialité de ses comptes. En outre, le dépôt des comptes annuels et des documents connexes au Registre du Commerce et des Sociétés fait l’objet d’une publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC). L’absence d’accomplissement de cette formalité peut donc constituer une première alerte.

Enfin, et de plus en plus, des sociétés de recouvrement et/ou d’assurance-crédit offrent des prestations de collectes et d’analyse de données relatives à l’état de santé financier des entreprises, accessibles le plus souvent en ligne. Ces données peuvent également constituer un indice, au surplus de ceux évoqués plus haut, permettant aux administrations d’effectuer un arbitrage éclairé sur les décisions à prendre, dans le contexte actuel, dans la conduite de leurs relations contractuelles.
Concrètement, il convient donc, a minima, de consulter régulièrement (tous les mois) les informations disponibles, en ligne, au registre du commerce et des sociétés (www.infogreffe.fr), au BODACC (www.bodacc.fr), et dans les bases de données des sociétés de recouvrement et/ou d’assurance-crédit, pour vos dossiers potentiellement sensibles.

Réagir

Il n’est pas exclu que, même pendant l’état d’urgence sanitaire, des entreprises fassent l’objet de jugements en ouverture de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.


La défaillance d’une société est généralement marquée par l’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire). Si les juridictions de l’ordre judiciaire, dont les Tribunaux de commerce, sont actuellement fermées au public, elles ne cessent pas, pour autant, de fonctionner, notamment par le biais d’audiences dématérialisées. De plus, et surtout, bien que l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 cristallise la date de l’état de cessation des paiements des entreprises au 12 mars 2020, le débiteur conserve la faculté de demander l’ouverture d’une procédure collective, en invoquant l’aggravation de sa situation financière (et donc en renonçant à cette cristallisation au 12 mars). Par conséquent, il n’est pas exclu que, même pendant l’état d’urgence sanitaire, des entreprises fassent l’objet de jugements en ouverture de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Si tel est le cas, trois dispositions sont à prendre.

o D’une part, ne pas appliquer les éventuelles stipulations du contrat, prévoyant, dans un tel cas, la résiliation automatique du contrat. En effet, de telles clauses sont nulles (voir, par exemple, art. L. 622-13-I du Code de commerce pour la procédure de sauvegarde). Le cocontractant serait alors fondé à demander l’annulation de la décision de résiliation, ainsi qu’une indemnisation du préjudice subi du fait de cette décision.

Bien que la mise en demeure ne soit pas obligatoire dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, il est recommandé de faire usage de cette procédure, afin d’être rapidement fixé sur l’avenir du contrat

o Interroger l’administrateur de la société sur la poursuite du ou des contrats en cours, en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement.  L’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation) n’entraîne pas automatiquement la résiliation du contrat, de sorte qu’il se poursuit, par principe.L’administration ne peut donc pas tirer prétexte d’une telle procédure pour résilier directement le contrat.
En matière de sauvegarde, il revient à l’administrateur de se prononcer sur le sort du contrat : poursuite ou résiliation (cf. art. L. 622-13 du Code de commerce). Si ce dernier ne se prononce pas dans le délai d’un mois à compter de la réception de la mise en demeure, ou s’il se prononce, dans ce délai, en défaveur de la poursuite du contrat, celui-ci est résilié de plein droit, à l’expiration du délai, sans indemnité. Bien que cette mise en demeure ne soit pas obligatoire dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, il est recommandé de faire usage de cette procédure, afin d’être rapidement fixé sur l’avenir du contrat et, ainsi, de pouvoir prendre rapidement les mesures permettant de faire face à l’éventuelle défection du cocontractant, notamment si la prestation en cause est importante pour le fonctionnement de l’administration. En tout état de cause, l’administrateur dispose également de la faculté de demander directement au juge-commissaire du Tribunal de commerce de prononcer la résiliation du contrat. Celle-ci sera prononcée si « elle ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant » (cf. L. 622-13-IV du Code de commerce). L’administration peut donc défendre à cette procédure, pour tenter de s’opposer à la résiliation du contrat. Cela peut être une option viable s’il existe de fortes chances que l’état de santé financier de la société en cause s’améliore.
Dans le cas de la procédure de redressement judiciaire : la société titulaire d’un marché public ou d’un contrat de concession doit informer « sans délai » l’administration de cette procédure (cf. CCP, art. L. 2195-4). A défaut, la société titulaire s’expose à une résiliation sans indemnité, en raison du manquement fautif du titulaire à cette obligation (CCP, art. L. 2195-4 et L. 3136-4). Une fois informée, l’administration peut alors mettre en œuvre la procédure prévue par l’article L. 622-13 du Code de commerce (sur renvoi de l’article L. 631-14 du Code de commerce), à savoir mettre en demeure l’administrateur de se prononcer sur le sort du contrat.

La société titulaire d’un marché public ou d’un contrat de concession doit informer « sans délai » l’administration de cette procédure

  Enfin, en cas de liquidation judiciaire, le titulaire du contrat doit, là encore, en informer l’administration. L’acheteur adresse ensuite une mise en demeure au liquidateur de se prononcer sur la poursuite de l’exécution du contrat. Le marché sera résilié, sans indemnité si, après mise en demeure du liquidateur, dans les conditions prévues à l’article L. 641-11-1 du Code de commerce, ce dernier indique tacitement (en l’absence de réponse dans les délais requis) ou expressément, ne pas reprendre les obligations du titulaire.

Reste à savoir si ce délai d’un mois, dans lequel l’administrateur ou le liquidateur doit se prononcer sur le sort du contrat, entre dans le champ d’application de l’article 2 de l’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, voire dans celui du IV de l’article 1er de l’ordonnance n° n° 2020-341 du 27 mars 2020.
Dans le premier cas, l’administrateur ou le liquidateur disposerait d’un délai d’un mois, à compter du 24 juin 2020, (soit, en l’état, jusqu’au 24 juillet 2020), pour se prononcer sur le sort du contrat (délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire – cf. art. 1er de l’Ordonnance du 25 mars 2020 précitée).
Dans le second cas, il disposerait, s’il en fait la demande auprès du Président du Tribunal de Commerce, lequel doit se prononcer avant l’expiration d’un délai « de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire », d’une prolongation de délai équivalente « à la période prévue au I » (soit une prolongation de 3 mois), pour se prononcer sur le sort du contrat. Il semblerait alors que le mandataire ou le liquidateur pourrait, jusqu’au 24 août 2020, demander à bénéficier d’une prolongation de délai, laquelle pourrait être accordée jusqu’au 24 décembre 2020 (délai d’un mois de droit commun prolongé de 3 mois). L’hypothèse n’est évidemment pas réaliste, car elle supposerait que le Tribunal se prononce le jour de sa saisine.
Il nous semble résider là, en tous les cas, une incertitude peu satisfaisante.
Dans l’intervalle, le contrat devrait donc se poursuivre, et, si le cocontractant privé n’était pas en mesure d’exécuter ses obligations, il y aurait alors lieu d’appliquer le régime prévu par l’article 6 de l’Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (à savoir suspension, ou résiliation partielle, ou totale, du marché).

Il est  impératif que la déclaration de créance soit signée par le comptable public

o Enfin, il ne faut pas oublier de déclarer sa créance. En effet, le créancier public est tenu de déclarer sa créance auprès du mandataire ou du liquidateur judiciaire (l’article L. 622-24 du Code de commerce vise bien « tous les créanciers (…) à l'exception des salariés »). Aucune exception à ce régime ne résulte de la nature publique de la créance.
Les créances doivent, en général, être déclarées dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture de la procédure collective au BODACC (articles L. 622-24 et R. 622-24 du Code de commerce). Toutefois, il faut prendre garde aux délais spécifiques, instaurés par les dispositions de l’article R. 622-21 du Code de commerce : en cas de résiliation de plein droit du contrat (c’est-à-dire dans le cas où l’administrateur est mis en demeure de se prononcer sur le sort du contrat, et ne répond pas, ou négativement), le délai de déclaration de créance est d’un mois, à compter de la résiliation de plein droit. Nous retombons alors, ici, sur l’incertitude évoquée ci-avant. A défaut de déclaration dans les délais, le créancier est considéré comme forclos, c’est-à-dire que sa créance ne sera pas inscrite au passif de la société et qu’elle ne pourra pas être réglée dans le cadre de la procédure, le cas échéant, si les fonds le permettent (article L.622-26 du Code de commerce). Ce délai de déclaration de créance entre, quoi qu’il en soit, dans le champ d’application de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 précitée, de sorte qu’en l’état, si un jugement de redressement ou de liquidation judiciaire venait à être publié au BODACC entre le 12 mars et le 24 juin 2020, le créancier public disposera d’un délai expirant au 24 août 2020 pour déclarer sa créance (cf. circulaire du 30 mars 2020  NOR : JUSC2008794C).
Selon les dispositions de l’article L. 2343-1 du Code général des collectivités territoriales, et la jurisprudence de la Cour de Cassation (voir, par exemple, Cass. com 12 juin 2001, n° 98-17.961), seul le comptable public est compétent pour déclarer la créance d’une personne publique.  Il est donc impératif que la déclaration de créance soit signée par le comptable public.

La déclaration de créance peut se faire par tout moyen

La déclaration de créance peut se faire par tout moyen : le Code de commerce ne prescrit aucune obligation formelle. En effet, les dispositions de l’article L. 622-25 du Code de commerce ne fixent que le contenu matériel de la déclaration. Le fax a déjà été jugé comme étant un moyen de déclaration suffisant (Cf. Cass com 17 décembre 2003, n° 01-10.692) et, dans les conditions actuelles, il serait étonnant que le courriel ne soit pas admis. Cela étant, la lettre avec demande d’accusé de réception, de par sa date certaine, est la forme à privilégier évidemment, et ce d’autant plus qu’il est désormais possible d’envoyer des lettres recommandées dématérialisées.

La déclaration doit comprendre l’ensemble des créances dues ou à devoir par le débiteur (article L.622-26 du Code de commerce). La personne publique doit ainsi déclarer également les créances potentielles, c’est-à-dire même non certaines, liquides et exigibles à la date du jugement de redressement ou de liquidation judiciaire. Ces créances potentielles sont déclarées sur la base d’une évaluation, arrêtée par l’ordonnateur (art. L. 622-24 du Code de commerce). Il est donc recommandé de faire signer la déclaration de créance par le comptable public et l’ordonnateur, lorsqu’elle intègre des créances potentielles.