Des potions amères pour la commande publique

  • 21/05/2020
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"Ce n'est pas les médecins qui nous manquent, c'est la médecine"
Montesquieu


Chacun y va de ses recommandations. La relance de l’économie passera donc, on ne cesse de nous le répéter, par la commande publique. Mais pas celle d’ "avant" ; la nouvelle, plus souple, plus simple, et surtout bien plus soucieuse de la santé des entreprises. La catastrophique économique annoncée incite celles-ci, par la voie de leurs représentants, à préconiser toutes sortes de remèdes, depuis les plus légers jusqu’à ceux à ranger dans la catégorie "remède de cheval".
Sauf que le patient, ce n’est pas (ou pas encore…) l’acheteur public. Pire encore, l'objectif de rémission de l'économie lui imposerait de s'abstenir de la réalité de la commande publique (lire le coup de gueule de Jérôme Michon : "L'ordonnance du 14 mai ne tient pas compte d’un minimum de souci d'opérationnalité").
 

Remède de cheval

Le remède de cheval, c’est par exemple celui proposé par la FFB. Elle préconise l’instauration d’un coefficient majorant tous les contrats en cours (relire "Relance de l’économie : la FFB plaide pour « une majoration de tous les contrats »"). Etonnant, non ? L’urgence économique devrait-elle justifier que soit remise en cause la nature « contractuelle » d’un marché ? Et que sa modification unilatérale soit décidée par une loi (ou plutôt une ordonnance : c’est très à la mode ces temps cis…) ? Le président de la FFB, Jacques Chanut, a annoncé être en discussion avec le Gouvernement pour trouver un « système de clause d'indexation liée à l'imprévisibilité ». Avec, pour justification, « préserver l’équilibre financier des entreprises qui doivent honorer des contrats déjà signés, alors que leur productivité va être amputée». C’est l’équilibre financier futur des entreprises que vise la FFB… pas l’équilibre des relations contractuelles. Comme une sorte de glissement, non ?
La Fédération nationale des travaux publics (FNTP) propose une seconde voie : l'allègement de charges. Considérant avec intérêt la piste préconisée par la FFB, elle craint cependant un effet secondaire : l’augmentation du coût des marchés, qui pourrait peser sur les moyens financiers de la commande publique. Mais pour certains, ce n’est certainement pas cela, l’équilibre de la commande publique, même s’il reste encore à trouver (relire "Il existe bien un intérêt commun entre acheteurs et entreprises..." et la tribune de Jean-Marc Peyrical "Crise du Covid-19 : vers un nouveau New-deal ?").
 

Augmenter la dose

Syntec-Ingénierie  (lire "Le cri d’alerte de Syntec-Ingénierie") propose de relever le seuil de dispense de procédure pour la passation des marchés publics de prestations intellectuelles à 100 K€ HT. Et ce, jusqu'à la fin de la crise sanitaire.
Eviter le formalisme du code pendant un certain temps... Il est vrai que beaucoup d’acheteurs publics considèrent qu’il a fallu "faire sans le code" et se tenir éloignés, parfois encouragés en ce sens par leurs élus, de ses rigidités administratives (relire "Je crains le retour du carcan administratif" et "D'Est en Ouest, les acheteurs publics tiennent la barre [Cash Interview]"). Plus avant, la crise du Covid-19 a renforcé certains dans leur certitude que, décidément, le code n’est pas adapté à tous les  achats (relire "Ces acheteurs décontractés et sans complexe"). Les maires, par la voie de l'Association des maires de France, rélament l'instauration " temporaire" du critère géographiquedans les procédures de commande publique  (lire "Les maires plaident pour le critère géographique...même temporairement").
 

Une méthode douce : revoir ses comportements

Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises, propose avec plus de rondeur le partage des bonnes pratiques (lire "Le Médiateur des entreprises vous lance un défi"). Il préfère insister sur le respect des règles et autres comportements "de bon sens" : à commencer par le respect des délais de paiement (relire "Le nombre de sollicitations et de médiations adressées au Médiateur des entreprises a été multiplié par 10"). Une attente soulignée par de nombreux prestataires (relire "Élus et acheteurs publics, ne mettez pas les bureaux d’études à l’arrêt !"), certains acheteurs ayant, et dès le début de la crise, tenu à entretenir des relations simples avec leurs entreprises (relire "[ITV express] Xavier Flament : « un message simple : notre activité est maintenue ; et la vôtre ? »").
Pour beaucoup, c’est en effet une relation constructive qui permettra d’optimiser une commande publique aux vertus réparatrices (relire par exemple "Une rédaction des marchés compréhensible pour faciliter l'accès des TPE/PME").
Sur ce champ qui consiste à se dire « voyons déjà si nous connaissons tous nos outils, et si nous savons les utiliser », les rappels sont nombreux (relire, par exemple "La préférence européenne : ce que permet le code de la commande publique").
 

Analyser, d’abord

La Commission européenne, elle, réfléchit. Elle veut savoir comment les acheteurs publics ont tenu le cap, notamment grâce à la dématérialisation (lire "Commande publique dématérialisée et Covid19 : l’enquête « rapide » européenne"). Une démarche analogue (mais lancée bien plus tôt !) est initiée le Conseil national des achats : il lance une étude, fondée sur un questionnaire aux acheteurs sur les "Nouvelles Tendances Achat 2020 post-covid", avec des questions assez révélatrices : « Du fait de la situation avec le Covid-19, subissez-vous des relations déséquilibrées et/ou défavorables avec certains fournisseurs ? ; En 2020, aurez-vous un objectif en matière de gestion des Risques Fournisseurs ?» Le CNA, dès le mois d'avril, s'est lancé dans un travail d’analyse et de cartographie (relire "Le CNA milite pour la relocalisation des achats stratégiques").

C'est peut-être l’attitude la plus sage : après l’urgence, il faut bien analyser avant de modifier les outils existants... et reprendre connaissance des mlarges de manœuvre déjà en place (lire "Covid-19 - Défaillance du cocontractant : que faire ?").

 

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Jean-Marc Joannès