Vers un "Passe achat responsable" pour la commande publique ?

  • 10/06/2021
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"L'excès est une preuve d'idéalité : aller au-delà du besoin"
Gustave Flaubert

Forcer le trait, c’est une technique comme une autre. Elle peut être contestée, mais repose toujours sur des faits… les "traits". Plions-nous donc à l’exercice, à l’heure où le projet de loi "Climat et Résilience" (c’est son intitulé raccourci... et provisoire : il évolue sans cesse !), aura sans aucun doute des impacts sur la commande publique. Après son adoption par l’Assemblée nationale, le 14 juin, le Sénat commencera l’examen en séance publique du projet de loi. Et ce, après un passage devant les commissions du Sénat (Lois, Finances, Aménagement du territoire) qui n’ont pas manqué d’en critiquer vertement le contenu, tout en en reconnaissant l’intérêt de principe.
 

Le Sénat dans son rôle

Le Sénat est dans son rôle de représentant des collectivités territoriales en affirmant que la volonté d’imposer de nouvelles politiques environnementales doit néanmoins respecter le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales : « De multiples initiatives sont prises dans les territoires pour protéger l’environnement et il convient de faire confiance à cette intelligence du terrain plutôt que d’imposer d’en haut des politiques trop uniformisées » (lire "Le PJL « Climat et résilience » étrillé par les commissions du Sénat").
Le Sénat est aussi dans son rôle de législateur, moins soumis au fait majoritaire que l’Assemblée nationale, en critiquant un texte pris dans l’urgence, « protéiforme », et dont le Palais du Luxembourg, souhaite « rehausser les ambitions environnementales», tout en se garant des « approximations ». En somme, éviter d’inscrire dans le droit des pétitions de principe, sur le terrain inapplicables (relire [Interview] « Une clause environnementale obligatoire ? C’est risqué, de vouloir inscrire une pétition de principe dans le code !").

Pétition de principe ou mesure d’affichage politique, comme le fameux "seuil d’intérêt général", autorisant une passation de marché avec dispense de procédure formalisée dès lors que l’intérêt général le justifie. Une mesure posée par la loi Asap, donc d’"urgence " .. dont on attend toujours le décret en Conseil d’Etat devant préciser les conditions de sa mise en œuvre … (relire "Amendement "Intérêt général" : le juridique débordé par le politique" et "Critère d’intérêt général : « les explications » de la DAJ")
 

Train de sénateur ou train d’enfer ?

D’ici le 29 juin, les sénateurs se pencheront donc à leur tour sur le texte et se prononceront notamment sur les 697 amendements (sur un peu plus de 1 900 déposés). Joueront –ils leur rôle classique de modérateurs institutionnels ?
Le travail est colossal (encadrement de la publicité ; vente en vrac et consignes ; protection de l’eau ; gestion forestière ; réforme du code minier ; énergies renouvelables ; transports ; information et participation des citoyens ; alimentation ; contruction; logement et urbanisme... Les sénateurs ne vont pas chômer, d’ici le 29 juin !
Ce qui nous intéresse, c’est bien évidemment le volet "verdissement de la commande publique", qui tient une bonne place dans le projet de loi (relire "Projet de loi « Climat et résilience » : quels impacts sur la commande publique ?").
 

Un texte à la commande

Tâchons d’y voir plus clair. Les dispositions "commande publique" du texte concernent de façon très visible l’insertion obligatoire dans les marchés publics de clauses faisant référence à l’aspect environnemental des prestations et tendant à ce qu’au moins un des critères de sélection prenne en compte les caractéristiques environnementales de l’offre (relire "Projet de loi Climat et résilience : et donc, la fin du critère unique du prix").
L'achat responsable étant un objectif très large, et aux dimensions internationales (lire"Achat socialement responsable : coup de pouce promotionnel de la Commission européenne" et "Les acheteurs publics, nouveaux gardiens des droits de l’Homme : un guide de la DAE"), d’autres dispositions se sont greffées sur la version initiale. Par exemple, la Fédération des entreprises d’insertion se réjouit du renforcement de la "commande publique inclusive". Elle a porté un amendement, avec l’Union nationale des entreprises adaptées, tendant à modifier l’actuel article L. 2111-1 du Code de la commande publique en y remplaçant les termes "en prenant compte" par "en justifiant de la prise en compte" (lire "Commande publique inclusive et PJL Climat et résilience : les nouveaux amendements qui seront examinés par le Sénat "). La nouvelle rédaction de cet article serait alors :
« La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en justifiant de la prise en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. »

Ce faisant, la proposition d’amendement instaure bien une obligation de justification de l’acheteur...
 

Et « à très gros traits »

Alors, ce qui nous fait craindre (à très gros traits, donc) l’apparition d’un "Pass achat responsable", c’est que si cet amendement venait à être voté en l’état, l’acheteur public serait dans l’obligation de justifier, non pas qu’il a tout fait pour éviter de déroger à un principe de base (par exemple : il ne pouvait pas allotir), mais bien dans obligation de justifier qu’il a pris en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale…

Alors, dans la même veine, imaginons un texte qui demanderait aux acheteurs de certifier que, pour soutenir l’économie et les entreprises, ils se sont bien engagés à tout faire pour aider les entreprises à faire face aux pénuries et hausse de prix (lire "Difficultés d’approvisionnement et hausses de prix : les précisions et recommandations de la DAJ" et relire "Pénurie de matières premières : le Gouvernement en appelle aux acheteurs publics" et "La flambée du cours des matières premières mènera-t-elle vers de nouveaux assouplissements du code de la commande publique ?").


Pure hypothèse ou extrapolation…


Jean-Marc Joannès